Benki Piyako n’a pas attendu la COP21 pour défendre l’environnement. Il a parcouru la planète pour alerter sur la déforestation de sa région natale, l’Amazonie, prôner la protection des terres et la sauvegarde des savoirs indigènes.

Benki Piyako a reçu le prix des droits de l'homme en 2013, à Weimar, en Allemagne.

Il avait décidé de venir jusqu’à Paris pour défendre la terre lors de la COP21. Mais il a renoncé. « On a tué beaucoup de gens », dit-il, lapidaire, en évoquant les attentats parisiens du 13 novembre. L’Indien Benki Piyako n’imaginait pas parler des ravages de la pollution en entendant au loin le bruit des bombes, en Syrie. Cacique du peuple Asháninka, population indigène de l’Amazonie répartie entre le Brésil et le Pérou, ce quadragénaire est le fils d’une Blanche, descendante de seringueiros (récolteurs de latex), et d’un chef indien. Il est surtout devenu au Brésil un acteur majeur de la défense de l’environnement, en lutte contre les absurdités du monde moderne. « Une figure dans la région », souligne l’anthropologue Marcelo Piedrafita.

A 18 ans, il se lève contre le “crime écologique”

Nous avons rencontré Benki fin novembre à Marechal Thaumaturgo, petite ville d’agriculteurs modestes, à une journée de bateau de l’aéroport de Cruzeiro do Sul, dans l’Etat d’Acre. Assis sur une chaise en plastique, assommé par la moiteur de l’été tropical, il nous a raconté le parcours qui a fait de lui une voix de la nature. « Une longue histoire », a-t-il prévenu. Né dans la forêt, il a connu son premier choc en 1992. Pour se rendre au Sommet de la Terre à Rio et défendre son peuple attaqué par les coupeurs de bois, les éleveurs de bétail et les trafiquants de drogue, Benki a pris l’autobus. « Je voulais voir. » Mais ce qu’il a vu n’était rien d’autre qu’« un grand désastre », juge-t-il. Sur le chemin, les villes au béton sali, les fleuves à l’odeur répugnante, les kilomètres de terre saccagée, de forêt dévastée. A Rio, du haut de ses 18 ans, il explique aux grands de ce monde que « l’homme mourra de son propre venin ».

Vingt ans plus tard, son pays vient de vivre l’une de ses pires catastrophes écologiques. Une avalanche de boue toxique a englouti plusieurs villages de l’Etat du Minas Gerais et coule maintenant dans le fleuve Rio Doce pour se déverser dans la mer, asphyxiant les poissons, tuant les tortues, polluant les fonds. Il faudra dix ans, pensent les experts, pour réparer les dommages. A l’origine, la rupture de deux barrages construits par le groupe minier Samarco, détenu par les géants brésilien Vale et anglo-australien BHP Billiton. L’entreprise est accusée d’avoir sacrifié la nature pour quelques points de rentabilité. « Le fleuve est contaminé. Ce qui arrive n’est malheureusement pas une surprise », soupire Benki, dénonçant « l’irresponsabilité des industriels », auteurs d’un « crime écologique ».

1992 n’a pas été que l’année du Sommet de la Terre à Rio. Pour le peuple Ashaninka, anéanti à près de 80 % à la fin du XIXe siècle, elle a été synonyme d’une victoire : ils ont obtenu la reconnaissance de leur territoire. Leur terre est aujourd’hui protégée par la Funai [la Fondation nationale de l’Indien, un organisme gouvernemental brésilien, NDLR], mais elle n’en reste pas moins assaillie par les trafiquants de bois précieux venus du Pérou. Au début des années 2000, Benki a remis ses peintures de guerre pendant cinq ans, avec son père et ses six frères et sœurs. Il a parcouru la planète, contacté Greenpeace, s’est rendu à Brasilia et a fini par l’emporter. « Tout le monde voulait me tuer », raconte-t-il.

“C’est un être rare. Opérationnel, honnête. Il donne confiance.” Tristan Lecomte, fondateur de PurProjet, organisation pour la reforestation

Depuis, Benki partage son temps entre différents projets de reforestation menés avec le soutien de PurProjet, une organisation financée par de grandes entreprises. L’un des sites, le centre Raio do Sol (« rayon du soleil ») est géré par l’association Apiwtxa, Jovens guerreiros da paz e da floresta, les jeunes guerriers de la paix et de la forêt. Des adolescents blancs, noirs ou métisses que Benki tente de soustraire à la tentation du trafic de cocaïne qui séduit les enfants désœuvrés. « Ils sont le futur et maintenant, ils sont avec moi. »« C’est un être rare », dit de lui Tristan Lecomte, fondateur de PurProjet qui a été séduit par son travail avec les jeunes. « Opérationnel, honnête. Il donne confiance », dit-il.

Quand il ne débroussaille pas dès l’aube, ce père de deux enfants de 6 et 18 ans offre des remèdes aux malades du village. Ce jour-là, une vieille femme est venue chercher l’herbe qui vaincra ses rhumatismes. « Il y a aussi des plantes contre le diabète, le cholestérol », explique l’Amérindien. Soigneur, confident, Benki convie aussi une partie du village à des veillées « ayawaska », une plante hallucinogène utilisée par les chamanes et connue pour ses vertus curatives. « Afin de rééquilibrer son esprit », dit-il. Benki Piyako a travaillé plusieurs années avec un chercheur de la prestigieuse université de São Paulo (USP) pour recenser les savoirs de son peuple et les enseigner aux générations futures.

Benki Piyako explique les projets de protection de la nature menés avec l’organisation PurProject (janvier 2014)

Récompensé du prix des droits de l’homme pour la défense de son peuple au Brésil, Benki n’a rien de la vision romantique et désuète d’un grand chef à plumes affolé par la technologie. Il s’accommode du capitalisme tout en s’en démarquant. Le village des Ashaninka dispose d’une connection Internet, notamment pour prévenir les militaires brésiliens en cas d’attaques de trafiquants. L’Indien a aussi une page Facebook créditée de plus de 800 amis, et son téléphone portable sonne en permanence. Lorsqu’il est las de répondre, son assistante Naiana Gomes Bezerra prend le relais. Défendre la planète est un job à plein temps. S’il n’est pas allé à Paris, il ira à Rio, São Paulo et ailleurs pour fairecomprendre aux arrogants que « l’eau que l’on boit vient du fleuve et que la nourriture que l’on mange vient de la terre ».

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