De quoi avons-nous besoin ? L’homme qui vit pour manger, boire, dormir, se vêtir, se promener, se donner enfin tout ce qu’il peut se donner, qu’il soit le parasite couché au soleil, l’ouvrier buveur, le bourgeois serviteur de son ventre, la femme absorbée dans ses toilettes, le viveur de bas étage ou le viveur de marque, ou qu’il soit simplement l’épicurien vulgaire, mais bon garçon, trop docile aux besoins matériels, cet homme-là, disons-nous, est engagé sur la pente du désir, et cette pente est fatale. Ceux qui la descendent obéissent aux mêmes lois que les corps roulant sur un plan incliné. En proie à une illusion sans cesse renaissante, ils se disent: encore quelques pas, les derniers, vers cet objet là-bas qui attire notre convoitise… Puis nous nous arrêterons. Mais la vitesse acquise les entraîne. Plus ils vont, moins ils peuvent lui résister. Voilà le secret de l’agitation, de la rage de beaucoup de nos contemporains. Ayant condamné leur volonté à être l’esclave de leurs appétits, ils reçoivent le châtiment de leurs œuvres. Ils sont livrés aux fauves désirs, implacables, qui mangent leur chair, broient leurs os, boivent leur sang et ne sont jamais assouvis. Je ne fais pas ici de morale transcendante, j’écoute parler la vie en notant au passage quelques-unes des vérités dont tous les carrefours nous répètent l’écho. L’ivrognerie, si inventive pourtant de breuvages nouveaux, a-t-elle trouvé le moyen d’éteindre la soif? Non, on pourrait plutôt l’appeler l’art d’entretenir la soif et de la rendre inextinguible. Le dévergondage émousse-t-il l’aiguillon des sens? Non, il l’exaspère, et convertit le désir naturel en obsession morbide, en idée fixe. Laissez régner vos besoins et entretenez-les, vous les verrez se multiplier comme les insectes au soleil. Plus vous leur avez donné, plus ils demandent. Il est insensé celui qui cherche le bonheur dans le seul bien-être. Autant vaudrait entreprendre de remplir le tonneau des Danaïdes. À ceux qui ont des millions il manque des millions, à ceux qui ont des mille, il manque des mille. Aux autres il manque des pièces de vingt francs ou de cent sous. Quand ils ont la poule au pot ils demandent l’oie, quand ils ont l’oie ils voudraient la dinde et ainsi de suite. On ne saura jamais combien cette tendance est funeste. Il y a trop de petites gens qui veulent imiter les grands, trop d’ouvriers qui singent le bourgeois, trop de filles du peuple qui font les demoiselles, trop de petits employés qui jouent au clubman et au sportsman, et dans les classes aisées et riches, trop de gens qui oublient que ce qu’ils possèdent pourrait servir à mieux qu’à s’accorder toutes sortes de jouissances pour constater après qu’on n’en a jamais assez. Nos besoins, de serviteurs qu’ils devraient être, sont devenus une foule turbulente, indisciplinée, une légion de tyrans au petit pied. On ne peut mieux comparer l’homme esclave de ses besoins qu’à un ours qui a un anneau dans le nez et qu’on mène et fait danser à volonté. La comparaison n’est pas flatteuse; mais avouez qu’elle est vraie. C’est par leurs besoins qu’ils sont traînés, tant de gens qui se démènent, crient et parlent de liberté, de progrès, de je ne sais quoi encore. Ils ne sauraient faire un pas dans la vie, sans se demander si cela ne contrarie pas leurs maîtres. Que d’hommes et de femmes sont allés, de proche en proche, jusqu’à la malhonnêteté, pour la seule raison qu’ils avaient trop de besoins et ne pouvaient pas se résigner à vivre simplement! Il y a dans les cellules de Mazas nombre de pensionnaires qui pourraient nous en dire long sur le danger des besoins trop exigeants. Laissez-moi vous conter l’histoire d’un brave homme que j’ai connu. Il aimait tendrement sa femme et ses enfants, et vivait en France, de son travail, dans une jolie aisance, mais qui était loin de suffire aux besoins luxueux de son épouse. Toujours à court d’argent, alors qu’il aurait pu vivre largement avec un peu de simplicité, il a fini par s’expatrier dans une colonie lointaine où il gagne beaucoup d’argent, laissant les siens dans la mère patrie. Je ne sais ce que cet infortuné doit penser là-bas; mais les siens ont un plus bel appartement, de plus belles toilettes, et un semblant d’équipage. Et pour le moment leur contentement est extrême. Mais ils seront bientôt habitués à ce luxe après tout rudimentaire. Dans quelque temps madame trouvera son ameublement mesquin, et son équipage pauvre. Si cet homme aime sa femme comme il n’en faut point douter, il émigrera dans la lune pour avoir un plus gros traitement.—Ailleurs les rôles sont renversés, c’est la femme et les enfants qui sont sacrifiés aux besoins voraces du chef de famille à qui la vie irrégulière, le jeu et tant d’autres folies coûteuses font oublier ses devoirs. Entre ses appétits et son rôle paternel il s’est décidé pour les premiers et lentement il dérive vers l’égoïsme le plus vil. Si vous souhaitez en savoir plus, je vous laisse le lien vers le site de l’agence séminaire à Deauville, réunion annuel sur le thème.

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