La chancelière allemande est passée du statut de dame de fer à celui de “Mutti” en se montrant aussi ferme dans ses négociations avec la Grèce que dans sa volonté d’accueillir les réfugiés.

Angela Merkel avec Barack Obama à Krün, en Bavière, lors du Sommet du G7, le 8 juin 2015.

A t-elle dépassé ses propres frontières ? Longtemps louée par ses pairs et ses concitoyens pour son implacable rationalité, Angela Merkel a, paradoxalement, été élue « personnalité de l’année » par le magazine américain Time pour avoir pris l’une de ses décisions les plus surprenantes depuis son arrivée au pouvoir, en 2005 : l’accueil sans limite de réfugiés à partir du mois de septembre 2015.

De Bagdad à Kaboul, la chancelière allemande a fini par apparaître comme une héroïne. Elle est devenue celle qui ouvre aux persécutés les portes d’un des pays les plus prospères du monde. Plus d’un million de réfugiés ont déposé en 2015 une demande d’asile en Allemagne, contre environ 200 000 les années précédentes. Sa décision n’est pas qu’une bravade, elle découle d’une véritable vision du monde à venir.

Une certaine vision de la mondialisation

Elevée en Allemagne de l’Est, la chancelière sait mieux que quiconque qu’aucun mur ne résiste à la pression populaire. Pour cette fille de pasteur, les 500 millions d’Européens ne peuvent plus se permettre d’ignorer la misère et les souffrances à leur porte. La pression des réfugiés politiques et économiques aujourd’hui et des réfugiés climatiques demain est devenue telle que murer durablement l’Union n’est pas une solution.

Par ailleurs, aux yeux d’Angela Merkel, adepte du libre-échange économique et de la libre circulation des personnes, ces réfugiés incarnent, à leur corps défendant, la mondialisation. En en accueillant des milliers, l’Allemagne paie finalement son dû à une globalisation qui, depuis des décennies, fait la fortune du made in Germany.

Angela Merkel fait un selfie avec un réfugié reconnaissant, lors d'une visite dans un camp de demandeurs d'asile à Berlin, le 10 septembre 2015.

Ce faisant, elle a pris un risque politique considérable. Portée aux nues par la presse internationale, pressentie un temps pour le Nobel de la paix, elle se retrouve de fait sur la défensive. Si une partie des Allemands, notamment les chefs d’entreprise, voient d’un bon œil ces réfugiés qui peuvent, à moyen terme, combler le déficit démographique du pays, d’autres s’inquiètent.

“Tous mes amis sont partagés. D’un côté, ils sont pour l’accueil des réfugiés, de l’autre, ils disent que c’est une folie.”Un responsable de la Fondation Friedrich-Ebert

Les plus modestes craignent une baisse de leurs prestations sociales. Même les plus optimistes jugent l’arrivée de centaines de milliers de jeunes hommes célibataires problématique à terme. Déjà, des parents hésitent à laissersortir seules leurs filles le soir… « Tous mes amis sont partagés, observe un responsable de la Fondation Friedrich-Ebert, proche du Parti social-démocrate (SPD). D’un côté, ils sont pour l’accueil des réfugiés, de l’autre, ils disent que c’est une folie. »

Et de pointer une conséquence de cette politique : « On va avoir en Allemagne un parti populiste à la droite de la CDU. » Sorte de Front national allemand, le mouvement Alternative pour l’Allemagne (AfD) est crédité d’environ 10 % dans les sondages. De plus, plus de 800 attaques ont été dénombrées en 2015 contre des foyers de réfugiés. Quatre fois plus qu’en 2014.

Des alliés traditionnels déroutés

Si Angela Merkel refuse toujours de fixer une limite au nombre de réfugiés que l’Allemagne peut accueillir, elle a lâché du lest lors du congrès de la CDU. La chancelière a précisé qu’il fallait désormais « réduire l’afflux de réfugiés » car « l’Etat comme la société » risquent d’être « trop sollicités ». Une inflexion est donc en cours…

Angela Merkel s’est aussi mis à dos ses alliés, les conservateurs européens, qui goûtent peu sa politique migratoire. Sans parler des pays d’Europe de l’Est qui, jusqu’à présent, suivaient à peu près la politique européenne de l’Allemagne, et figurent désormais parmi ses plus farouches adversaires. La tentative d’Angela Merkel de répartir« équitablement » les réfugiés en Europe s’est même soldée par un fiasco.

Certes, en Allemagne, la popularité de la chancelière n’a pas plongé. Elle a même été acclamée comme jamais par son parti lors du congrès du 14 décembre. Mais elle a suffisamment régressé dans l’opinion pour qu’une quatrième candidature de « Mutti » à la chancellerie soit désormais loin d’être une évidence. Héroïne, peut-être. Consensuelle, de moins en moins.

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