Dans le monde entier, les soutiens au blogueur saoudien condamné à dix ans de prison et 1 000 coups de fouet pour « injures envers l’islam » se mobilisent. Le prix Sakharov pour la liberté d’expression, décerné par le Parlement européen, vient de lui être remis par l’intermédiaire de son épouse.

C’est une vidéo volée, filmée par un trou de souris, entre l’épaule d’un spectateur et la nuque d’un autre (voir ci-dessous). Elle montre un homme de dos, en chemise blanche et pantalon noir, en train de se fairebattre par un policier, au milieu d’un attroupement. La scène se déroule devant une mosquée de Djedda, sur la côte ouest de l’Arabie saoudite, au mois de janvier 2015. « Il parlait d’Allah et du Prophète », commente une voix d’homme. « Il aurait dû être décapité », poursuit une autre.

L'élan de mobilisation internationale en faveur de Raef Badawi (ici à Rome) a, pour le moment, empêché la poursuite des séances de flagellation.

Le châtiment est administré à l’aide d’un bâton effilé, semblable à une baguette mais en plus long, qui vise d’abord les jambes puis le dos du condamné. Vingt, trente, quarante… Les coups pleuvent en faisant un petit bruit sec. Au cinquantième, la bastonnade se termine sous les applaudissements de la foule. Elle a duré quarante secondes. L’homme à la chemise blanche est resté debout pendant toute la séance.

Libre-penseur, animateur d’un forum en ligne

Il s’appelle Raef Badawi. Ce libre-penseur de 31 ans, animateur d’un forum de débat en ligne, a été condamné en mai 2014 à dix ans de prison et à 1 000 coups de fouet, distribués en vingt séances de 50 coups chacune : la vidéo a été prise lors de la première.

Sur son site de discussion, Free Saudi Liberals (Libérez les Saoudiens libéraux), l’impertinent Raef tournait en dérision la Mouttawa, la police religieuse, et publiait des affirmations aussi subversives que « musulmans, chrétiens, juifs et athées sont tous égaux ». De quoi nourrir une condamnation pour « insultes envers l’islam » dans le pays des deux mosquées sacrées (La Mecque et Médine), où l’islam wahhabite, ultrarigoriste, ne souffre aucune contestation.

Depuis ce verdict et, surtout, depuis la sinistre vidéo du 9 janvier, les appels à la clémence se multiplient. A chacun son style. Les capitales occidentales, dont certaines entretiennent des relations très étroites avec le royaume saoudien, s’expriment avec parcimonie, à mots choisis, en privilégiant les démarches discrètes aux déclarations fracassantes. C’est le cas de Paris, qui a fait des pétrodollars saoudiens la cible de prédilection de sa diplomatie économique.

Raef Badaoui « n’a fait qu’user de son droit à la liberté d’expression. Il a comblé une lacune dans son pays concernant la liberté de la presse », a déclaré le président du Parlement, Martin Schulz lors de la remise du prix Sakharov, mercredi 16 décembre à Strasbourg. Sa femme Ensaf Haidar a reçu le prix en son nom.

Les militants de la société civile et les organisations de défense des droits de l’homme n’ont pas ces pudeurs. Sur Internet, un immense élan de solidarité est né. En l’espace de quelques mois, le blogueur emprisonné a reçu pas moins de sept prix pour la liberté d’expression, dont le plus prestigieux d’entre eux, le prix Sakharov, décerné par le Parlement européen. Un parlementaire norvégien a même proposé de lui remettre le prix Nobel de la paix, en même temps qu’à son avocat, Waleed Abou Al-Kheir, autre critique du clergé wahhabite, également emprisonné.

Lire aussi : Samar Badawi, l’effrontée de l’Arabie saoudite

Une mobilisation qui a porté ses fruits : la seconde séance de flagellation a été repoussée sine die au motif que l’état de santé de Raef Badawi ne le permettait pas. Un prétexte destiné à dissimuler la reculade du royaume. Le roi Salman, arrivé au pouvoir au début de l’année, répugnait visiblement à entacher le début de son règne par un scandale international.

Mais sur le fond, Riyad n’a pas fléchi. En juin la Cour suprême saoudienne, saisie par les défenseurs du jeune homme, a confirmé la peine initiale. Le mois de Ramadan, propice aux pardons, s’est achevé mi-juillet sans la moindre avancée. A tout moment, les coups de trique peuvent donc recommencer.

Dans les cercles dirigeants saoudiens, la mobilisation des Occidentaux en faveur de Badawi provoque des réactions presque aussi épidermiques que celle concernant l’interdiction faite aux femmes de conduire. Le royaume rejette avec un agacement croissant ce qu’il considère comme une « ingérence dans ses affaires intérieures ».

.@Europarl_EN awarding #SakharovPrize to @raif_badawi exposes EU silence on #Saudi human rights abuses https://t.co/UpWjTQmQYT #FreeRaif

— AmnestyEU (@Amnesty EU)

Le Prix Sakharov décerné par le Parlement européen à Raef Badawi met en lumière le silence de la Communauté européenne sur le problème des droits de l’homme en Arabie saoudite, dénonce ce tweet d’Amnesty International, le 16 décembre 2015

Les libéraux saoudiens ne sont eux-mêmes pas toujours très à l’aise avec ces pressions. « Elles risquent de porter tort aux Saoudiens qui poussent discrètement pour la libération de Raef, estime le sociologue Khalid Al-Dakhil. Le gouvernement ne cédera pas à une demande extérieure. »

Selon son épouse, Ensaf Haidar, qui vit en exil au Canada avec leurs trois enfants et a reçu, le 16 décembre, le prix Sakharov à la place de son mari, celui-ci a commencé une grève de la faim à la mi-décembre. Le pouvoir saoudien n’a pas fini d’entendre parler de sa bête noire.

Des images de la flagellation de Raef Badawi

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