« Les Jours, bonjour. » Peut-être que les fondateurs de ce nouveau site d’information ont choisi ce nom-là juste pour accueillir leurs invités ainsi. Vendredi, à Paris, ils avaient convié leurs amis et soutiens à leur fête de lancement. « Il faut que tu parles du buffet, parce que, eux, à chaque conférence de rentrée des chaînes de télé, ils dézinguaient les buffets », me glisse-t-on à peine arrivée. Eux, ce sont les Garriberts, Raphaël Garrigos et Isabelle Roberts, ancien binôme chroniqueur média de Libération, les plus connus de la nouvelle rédaction.

Pour le moment, pas de buffet. Un petit film rigolo et une présentation à bugs. C’est assez rassurant quand les journalistes sont maladroits en communication. « Je vous assure qu’on est meilleur à l’écrit », promet l’un d’eux sur scène en déroulant les spécificités du site – plus de rubriques mais un traitement de l’actualité sous forme de feuilletons par « obsessions ».

« Tu sais qui c’est ? », glisse une voix quand Julia Cagé, longs cheveux bruns, arrive sur scène. La réponse mondaine n’est pas : « une économiste spécialiste des médias », mais « la femme de Piketty ». Les économistes sont aussi des êtres vivants. Au milieu de la scène, sursautant en évoquant les dangers que fait courir la concentration des médias, elle a l’air presque habitée, mi-animatrice de conférence TED, mi-Pina Bausch. Elle conclut que la manière la plus simple d’avoir des médias indépendants, c’est de les créer. « Et si Les Jourssont un succès, ça donnera envie à d’autres médias de se constituer. »

Est-ce parce qu’on nous a dit : « Vous avez des questions avant qu’on aille boire un verre ? », que personne n’a de question ?

Et le buffet donc, tout au fond de la salle du Carreau du Temple, dans le 3e arrondissement. Des pizzas. Au saumon. Au jambon fumé. A la ricotta. Servies dans leurs boîtes sur leur lit de carton. Vin blanc ou rouge ? C’est Charlotte Rotman, une autre ex-journaliste de Libération, passée derrière le bar, qui pose la question.

La dernière fois qu’il y a eu autant d’anciens journalistes de Libération dans une salle, c’était pour la fête de déménagement du quotidien quelques semaines plus tôt (le journal a quitté le site de la rue Béranger, que les précédents actionnaires de Libération avaient déclaré vouloir transformer en « Flore du xxie siècle »). Les différentes strates de plans sociaux sont représentées : entre ceux qui ont trouvé du travail ailleurs, ceux qui se demandent si ce qu’ils font maintenant justifiait d’en partir et les derniers partis, encore perdus dans les papiers administratifs. « Oui, tu vas voir, Pôle emploi, au début ils te contactent beaucoup, après ça se calme… » Tous ont en commun d’être convaincus que le « vrai Libé » a duré jusqu’à leur départ, quelle qu’en soit la date. Au milieu de ces quinquas, d’autres bandes, celles des journalistes de moins de 30 ans qui ont commencé avec les sites d’information et ont déjà eu le temps d’en connaître plusieurs générations.

Des Jours, on parle assez peu. D’abord parce que le premier soir, personne n’en a encore rien lu, sauf les conjoints des journalistes qui trouvent le site vraiment très bien. Quant au modèle économique, alors que les rédactions abritent autant d’analystes média en puissance que de sélectionneurs d’équipe de foot, on en parle prudemment. Entre les visionnaires convaincus, il y a huit ans, que Mediapart et Edwy Plenel n’avaient rien compris au Web, les enflammés par les promesses journalistiques de feu OWNI(2009-2012) ou les éblouis par la présence de Frédéric Taddei derrière le site Newsring (2011-2013), l’histoire des lancements de médias en ligne a appris la circonspection.

Le député parisien Patrick Bloche est là, mais ça ne suffit pas à faire une soirée people. Une pile de sacs en toile au logo des Jours a été posée sur une table – les sacs en toile ont remplacé les tee-shirts et les clés USB dans les cadeaux d’entreprise cool. Sont-ils réservés à ceux qui ont participé à l’opération de crowdfunding ? Dans la présentation qui a précédé, on a appris que ceux qui avaient contribué pour cinq euros au nouveau site recevraient au moins un e-bisou. « Je ne me souviens plus si j’ai donné », s’interroge un invité. C’est le drame du financement participatif de croire que des pensées bienveillantes finiront par se transformer en capitaux.

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