Il y a une vingtaine d’années, au début de sa carrière, Mads Mikkelsen, encore inconnu, arpentait la Croisette. Ce n’était pas encore le Cannes du tapis rouge, mais celui du Marché du film. L’acteur danois venait chercher des financements, avec le réalisateur Nicolas Winding Refn, qui lui avait donné son premier rôle, à 30 ans, dans Pusher. Avant cela, Mikkelsen, qui n’avait pas l’ambition de devenir acteur, adorait le sport et était danseur. Seize ans après Pusher, en 2012, il recevait le Prix d’interprétation masculine pour son rôle d’un présumé pédophile dans La Chasse, de Thomas Vinterberg.

Cette année, au sein du jury présidé par George Miller, c’était à son tour d’honorer ceux et celles qui font le cinéma. « C’est un grand honneur, commentait l’acteur entre deux montées des marches, parce que cela signifie que je représente quelque chose pour ce festival, qui est la plus grande déclaration d’amour au cinéma du monde. » Il assume très simplement ce besoin de reconnaissance auquel le milieu et le Festival ont si ardemment répondu : « Je pense que c’est la même chose pour tous ceux qui travaillent dans l’industrie du cinéma. Au plus profond de nous-mêmes, nous sommes tous des enfants qui veulent être aimés. »

Mads Mikkelsen était membre du jury lors du dernier festival de Cannes.

Au milieu des festivités et de leur décorum, il est cocasse d’évoquer avec lui la sortie française de Men & Chicken, d’Anders Thomas Jensen. Affublé d’un bec-de-lièvre et d’une grosse moustache, il interprète dans cette comédie noire déjantée un inadapté social qui se découvre une fratrie tout aussi fantasque : un rôle à rebours du glamour et des paillettes cannoises.

La bande-annonce de « Men & Chicken »

Il a tourné quatre films sous la direction de ce cinéaste − comme sous celle de Nicolas Winding Refn. S’il apprécie ces collaborations au long cours, c’est parce que la confiance établie autorise une plus grande audace : « Il y a un risque bien sûr, résume-t-il, celui de devenir paresseux et de refaire les mêmes choses. Mais c’est aussi l’occasion d’être plus courageux. »

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Il en faut, du courage, pour aller aussi loin dans le grotesque avec Men & Chicken. Bien que désireux de plaire, l’acteur n’a jamais été freiné par la peur du ridicule ou des extrêmes. La grande violence et les transformations physiques – qui vont souvent de pair, comme chez Nicolas Winding Refn, qui lui avait enlevé un œil dansLe Guerrier silencieux– ne l’intimident pas non plus.

Mads Mikkelsen se dit « peu soucieux de sa carrière ». Il avance au coup de cœur, un projet après l’autre et, lorsqu’il est séduit, se laisse emporter fougueusement, sans trop chercher à anticiper l’expérience. Il n’est pas de ceux qui passent troismois dans les bibliothèques avant chaque rôle : « La vérité d’un personnage est ailleurs que dans les livres », explique-t-il.

Dans « Men & Chicken », Mads Mikkelsen incarne un inadapté social à la découverte de sa nouvelle famille (ici avec Nicolas Bro).

Pour jouer Igor Stravinsky, dans Coco Chanel & Igor Stravinsky, de Jan Kounen (2009), il raconte avoir renoncé à lire, notamment les livres de Stravinsky lui-même, parce « qu’il n’y parlait que de lui. Il s’aimait manifestement beaucoup… Alors j’ai simplement écouté sa musique, en permanence, en me disant que lui était là, quelque part. J’y ai trouvé quelque chose de très radical et de très structuré en même temps, et c’est cette combinaison qui m’a inspiré ».

Figure familière du cinéma européen, très fidèle à celui de ses compatriotes danois, Mads Mikkelsen ne joue cependant pas qu’à domicile. Depuis son interprétation du malfaisant Le Chiffre dans Casino Royale, il s’est vu ouvrir les portes d’Hollywood, et ne s’est pas privé de les franchir. Entre le cinéma d’auteur européen et les blockbusters, pourquoi lui faudrait-il choisir ? « Il n’y a rien de schizophrène à aller de l’un à l’autre, explique-t-il. Je crois que ce sont surtout les Européens qui ont un problème avec ça. Peut-être parce qu’ils ont tendance à se considérer comme ceux qui font les “vrais” films… »

La bande-annonce de « Casino Royale »

A Hollywood, où son visage taillé à la serpe lui offre des rôles de grands méchants, il s’en donne à cœur joie : il combattra ainsi dès le 26 octobre le célèbre Docteur Strange, de Marvel, dans le film du même nom. Il fait également partie du casting de Rogue One : A Star Wars Story, dérivé de la saga Star Wars, en salles le 16 décembre.

De ses rôles de méchants de grands spectacles aux héros plus complexes du cinéma d’auteur (ou de la télévision : il a joué Hannibal Lecter pendant trois ans dans la série « Hannibal »), il parle avec le même enthousiasme enjoué. Et avec une lueur presque enfantine dans le regard qui laisse deviner le gamin désireux d’être aimé. Un gamin de 50 ans qui garde dans sa malle aux trésors un trophée cannois aux allures de talisman, les jours de pluie : « Je sais exactement où il se trouve. Si quelque chose ne se passe pas bien, ou si je suis déprimé, je le regarde et je me dis : “Ce jour-là au moins, j’ai été bon.” »

« Men & Chicken », film d’Anders Thomas Jensen, avec Mads Mikkelsen, Nikolaj Lie Kaas, David Dencik, Nicolas Bro. En salles. 1 h 44.

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