Malgré la censure et les contraintes économiques, de jeunes cinéastes assurent la relève.

Le cinéma iranien profite-t-il de la (relative) ouverture de la République islamique ? Dans la foulée du double prix décerné à Cannes au Client, d’Asghar Farhadi, le festival Cinéma(s) d’Iran, qui vient de se tenir à Paris, a permis de constater la richesse du septième art persan. Pour sa quatrième édition, la manifestation a mis à l’honneur la comédie, un genre qui permet mieux que tout autre de critiquer la société. Quelques semaines plus tôt, à Téhéran, pas moins de 140 films étaient présentés au Festival Fajr, le rendez-vous de la production locale.

Mêlant films populaires et indépendants, le cinéma iranien ne s’est jamais aussi bien porté.

Si le cinéma iranien ne s’est jamais aussi bien porté, « il est aussi à l’image du pays qui le produit : rempli de paradoxes, souligne Nader T. Homayoun, président du festival Cinéma(s) d’Iran et réalisateur des Pieds dans le tapis. Nous possédons un cinéma très énergique, qui produit beaucoup. Et, en même temps, tout reste assez confidentiel, faute d’un modèle économique qui en permette la distribution. »

Deux catégories de films se distinguent : d’un côté, un cinéma populaire, subventionné et contrôlé par l’Etat, qui ne sort pas du pays car inadapté à un public étranger ; de l’autre, un cinéma indépendant, peu vu en Iran, mais apprécié des festivaliers et des cinéphiles. « Quelques films font exception, à l’image de ceux d’Asghar Farhadi qui sont populaires aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de nos frontières », résume Nader T. Homayoun.

L’élection du modéré Hassan Rohani en 2013 avait créé un espoir de libéralisation de ce secteur. Mais dans les faits, peu de chose a changé, au grand regret des cinéastes iraniens. « Nous sommes accueillis avec le sourire, et le ministère de la culture donne l’impression d’une relative bienveillance, explique Nader T. Homayoun. Je n’ai pas vu pour autant une plus grande liberté d’expression. »

Un puissant système de censure

Le système de censure, instauré depuis la révolution, est toujours puissant, et chaque film qui souhaite obtenir une autorisation de tournage doit voir son script approuvé par les censeurs. Pas de sexe, pas de politique et, globalement, pas de films qui jouent de près ou de loin avec les interdits de la société iranienne. Les limites ne sont pas explicites et charge aux réalisateurs de se mettre à la place des censeurs et d’imaginer ce qui passera ou pas. « Depuis quelques années, apparaît une nouvelle génération de réalisateurs, capables de sortir des films à petits budgets et sans soutien de l’Etat. Ils représentent l’espoir du cinéma iranien », constate Negar Eskandarfar, directrice de la très réputée école de cinéma Karnameh, à Téhéran.

De gauche à droite : l’actrice Taraneh Alidoosti, le réalisateur Asghar Farhadi et l’acteur Shahab Hosseini lors d’une conférence de  presse à Téhéran, le 30 mai 2016. Leur film « Le Client » a été primé au Festival de Cannes.

Ces trentenaires connaissent bien les contraintes économiques parce qu’ils ont commencé par le court-métrage et le documentaire avant de se lancer dans le long-métrage. C’est le cas de Behtash Sanaeeha, qui a tourné Probable pluie acide, son premier film, grâce à des financements privés. Le propre de cette génération est aussi d’avoir appris à se jouer de la censure en usant de procédés toujours plus créatifs – comme une conversation au téléphone, qui suggère plus qu’elle ne montre.

« La reconnaissance du public »

Des films comme Une rébellion ordinaire, de Hamed Rajabi (qui raconte l’histoire d’une femme se révoltant après une fausse couche) ou Au cas où, de la réalisatrice Faezeh Azizkhani traitent de sujets qui demeurent délicats pour la censure. Et impossible de savoir à l’avance s’ils passeront à travers les mailles de son filet, car les limites de ce qui est permis ou pas ne sont jamais clairement définies.

Lire aussi : « Le Client » : Farhadi revient dans le dédale de Téhéran

Les débordements de joie qui ont déferlé sur le Twitter iranien lorsque Le Client a remporté ses prix, et les centaines de personnes qui ont accueilli Asghar Farhadi à l’aéroport de Téhéran montrent l’engouement et la fierté des Iraniens pour leur cinéma. Attirés par les succès internationaux et aidés par les facilités du numérique, les jeunes réalisateurs et acteurs sont chaque jour plus nombreux. « Le talent existe déjà dans le cinéma indépendant iranien, conclut la directrice de l’école Karnameh. Il ne manque que le système économique qui leur permette d’avoir la reconnaissance du public. »

Jonathan Vayr

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