Le Monde | 12.01.2016 à 17h37 |Par Julien Guintard

Chaque semaine, “M” vous sert sur un plateau une série de petites infos qui ont souvent tout autant de sens que les grandes.

ÇA VA, LES ÉTUDES  ?


Un film d’horreur peut-il vousglacer le sang ?

 La réponse semble être oui d’après les auteurs d’une étude parue en décembre 2015 dans le British Medical Journal. Pour vérifier si la peur peut effectivement modifier la formule sanguine, les scientifiques ont constitué un panel de 24 volontaires, tous trentenaires et en bonne santé. Certains des participants ont alors vu un documentaire sur le champagne (A Year in Champagne), tandis que d’autres regardaient le film d’horreur Insidious. Résultat : les seconds participants avaient un taux plus élevé de facteur anti-hémophilique A, dit facteur VIII — qui intervient dans la coagulation — dans le sang après vision du film d’horreur. Une petite coupette pour se remettre ?

Journée à thème


A quelque chose malheur est bon

 L’adage se vérifie quand il s’agit d’expliquer l’existence du Kiss A Ginger Day, chaque 12 janvier. A savoir : une journée au cours de laquelle chacun est invité à embrasser toute personne ayant les cheveux roux. D’abord lancé au Canada, l’événement se voulait une réponse à l’infâme Kick A Ginger Day, épiphénomène informel visant rien moins que rosser un rouquin. Mouvement lui-même déclenché par quelques sombres idiots ayant mal compris un épisode de la série « South Park » (épisode 11, saison 9), au cours duquel le personnage de Cartman prenait la tête d’un mouvement mondial rosso-ségrégationniste.

 Bref, malgré votre retenue naturelle, n’hésitez pas à vous rapprocher de Jessica Chastain, d’Audrey Fleurot ou encore du prince Harry pour leur faire savoir combien ils enrichissent la palette de l’humanité, et ce, même si vous n’êtes pas coiffeur.

  • Julien Guintard

    Journaliste au Monde

En 2003, ce trentenaire qui a grandi à Trappes a cofondé Ki-oon, une maison d’édition spécialisée dans les mangas. Grâce à une stratégie audacieuse, le succès est au rendez-vous. Deux de ses productions sont sélectionnées pour le Festival d’Angoulême.

Cinq millions et demi d’euros de chiffre d’affaires en 2015. La maison d’édition Ki-oon, spécialisée dans le manga et installée dans 230 mètres carrés de bureaux au cœur du 9e arrondissement de Paris, se porte bien. Du chemin a été parcouru depuis la cité HLM de Trappes dont Ahmed Agne, le directeur, est originaire. « Ceux qui disent : “Regardez-le, quand on veut, on peut” se trompent, coupe court le presque quadragénaire. Je ne suis pas un exemple, plutôt le résultat d’une équation où la motivation a été l’un des facteurs. Mais pas le seul. »

Ahmed Agne est éditeur de mangas. Il codirige la maison d'édition Ki Oon qu'il a cofondée en 2003 avec Cécile Pournin.

Première donnée de ce calcul : son père, ouvrier mécanicien arrivé du Sénégal dans les années 1970. « On n’avait pas d’argent, mais il m’a donné une arme fabuleuse : une carte de bibliothèque », aime-t-il raconter. Tintin, romans, mythologie égyptienne… Dans la chambre qu’il partage avec ses cinq frères et sœurs, Ahmed dévore tout.

Puis viennent les années 1990. A la télé, le « Club Dorothée » diffuse de nouveaux dessins animés venus du Japon. « AvecOlive et TomouLes Chevaliers du zodiaque, on pouvait enfin s’identifier à des personnages qui vivaient les mêmes choses que nous : premières amours, amitiés trahies… »

Un séjour de deux ans au Japon

Il passe des heures à noircir des cahiers de silhouettes aux grands yeux. Sa passion pour l’animation nippone aurait pu s’arrêter là. Mais une nouvelle variable entre dans l’équation : son père insiste pour qu’il intègre un collège à quelques kilomètres de Trappes. « J’y ai découvert la mixité sociale en côtoyant des fils de médecins, d’artistes… Mon horizon s’est ouvert. »

Au lycée, il achète ses premiers mangas et les décrypte en VO muni d’une méthode Assimil. La fac de japonais s’impose. A la faveur d’un programme d’échanges, il passe même deux ans au Japon. Là-bas, ce grand Peul de 1,90 mètre détonne. « Le premier jour, le chauffeur de bus, effrayé, ne s’est pas arrêté », se souvient-il amusé.

De retour en France, bardé d’un diplôme de maîtrise et de lettres de recommandation, il déchante vite. Deux cents candidatures, aucun entretien. Parallèlement, avec Cécile Pournin, une amie de fac, ils assistent à l’explosion du manga en librairie. A l’époque, l’offre se limite à des shōnen, des BD pour jeunes garçons type Dragon Ball, et les deux passionnés ne s’y ­retrouvent pas. Progressivement, l’idée leur vient d’éditer des seinen, des œuvres pour adultes.

Des choix éditoriaux novateurs

En 2003, ils se lancent. Le marché du manga en France consiste à racheter des licences aux éditeurs japonais. Ahmed et Cécile ont une autre stratégie : tous les deux bilingues, ils se rapprochent directement d’auteurs indépendants, méconnus au Japon. Nuit blanche après nuit blanche, ils construisent leur catalogue. Pendant cinq ans, Ki-oon se résume à un canapé et deux ordinateurs dans le studio d’Ahmed, à Trappes. Puis, ils se versent enfin un salaire et embauchent leur premier employé. « Leur force, c’est leur passion, mais surtout leur vision marketing, pointe Christophe Lenain, libraire spécialisé. Ils ont été les premiers à proposer des extraits en ligne ou à organiser des rencontres entre fans et auteurs. »

"A Silent Voice" fait partie de la sélection jeunesse du festival d'Angoulême 2016. Cette œuvre émouvante de Yoshitoki Oima aborde les thèmes du harcèlement et du handicap.

Ahmed Agne fait aussi preuve d’audace éditoriale. Il mise à la fois sur une valeur sûre, la science-fiction, et sur des sujets plus controversés pour attirer un nouveau lectorat. Son dernier pari en date, A Silent Voice, mêle handicap et harcèlement à l’école. Et ça marche. Avec des séries dont les ventes dépassent 600 000 exemplaires, Ki-oon est aujourd’hui le quatrième éditeur de mangas en France – et le premier indépendant – et représente 10 % de parts de marché.

Lire aussi : Le festival de BD d’Angoulême accusé de sexisme après une sélection 100 % masculine

Consécrations, l’une de leurs productions a été vendue dans dix pays, dont le Japon, et deux sont nominées au Festival d’Angoulême (du 28 au 31 janvier). Mais à titre personnel, Ahmed savoure une autre victoire : « Ma mère a enfin arrêté de dire à ses copines que son fils faisait du chinois. »

Corinne Soulay

Le Monde | 08.01.2016 à 20h02

Le million d’exemplaires imprimés du numéro spécial de Charlie Hebdo publié un an après l’attentat contre sa rédaction n’aura pas suffi. Le journal satirique a annoncé vendredi 8 janvier qu’il procéderait à un nouveau tirage. Le magazine va réapprovisionner des kiosques samedi, « pour répondre à une demande plus forte qu’attendu ».

Mercredi, le numéro 1224 du journal, avec à la « une » un Dieu armé, à la barbe tachée de sang, était mis en vente, tiré à un million d’exemplaires. Un an plus tôt, l’imprimeur avait réparti sur plusieurs sites la sortie en urgence du « numéro des survivants », le 14 janvier, qui avait été tiré à 8 millions d’exemplaires.

Chaque semaine, Charlie Hebdo vend environ 80 000 exemplaires en kiosque et a gagné 200 000 abonnés après l’attentat qui a décimé sa rédaction.

Lauréat du prix « Paysage » de la Bourse du Talent 2015, Laurent Kronental, né à Courbevoie en 1987, expose, jusqu’au 7 février à la Bibliothèque nationale de France à Paris, une série de photographies sur le thème des grands ensembles. Des lieux aux architectures étonnantes où il a fait poser des habitants. « Il y a un parallèle à faire entre le vieillissement de ces quartiers et les personnes âgées qui les habitent : les seniors sont eux aussi toujours là, debout », confie-t-il. Son objectif est de « mettre en valeur la beauté de ce patrimoine architectural ».

Lire la critique : Laurent Kronental regarde vieillir l’utopie des grands ensembles

A Rishikesh, l’Etat d’Uttarakhand va rénover l’ermitage dans lequel le groupe de Liverpool a séjourné quelques semaines avec son gourou en 1968.

De gauche à droite, John Lennon, Paul McCartney, le Maharishi Mahesh Yogi, George Harrison; l'actrice américaine Mia Farrow et le chanteur anglais Donovan, lors de leur séjour en Inde en 1968. Ringo Starr ne figure pas sur la photo.

Un petit bout abandonné de la légende des Beatles est en train de renaître. Un ashram dans le nord de l’Inde, à Rishikesh, rendu célèbre pour avoir accueilli le groupe quelques semaines en 1968, va être converti en attraction spiritualo-touristique par l’Etat d’Uttarakhand, qui a entrepris de rénover le site. Naguère, l’on venait s’y retirer du monde, dans le dénuement, pour se livrer à la méditation transcendantale. Demain, ce sera plus prosaïquement un lieu de culte aux Beatles, où l’on fera un peu de yoga et de méditation.

Les pétales de fleurs et la fumée d’encens ont déserté l’endroit depuis bien longtemps. Seuls les chiens et les serpents occupaient les lieux, avant sa réouverture en ce mois de décembre, et la transformation à venir. Cet ashram comprend 84 abris en forme de cône, décorés de galets ramassés dans le lit du Gange. Ces igloos en ciment étaient censés faciliter le transfert des énergies et des vibrations. Les seuls gardiens de la mémoire de ce monument étaient des ermites, qui jouent aux cartes sous un arbre.

Ringo Starr n’a tenu qu’une semaine

Contre quelques centimes d’euros, ces conservateurs en chef du site faisaient visiter l’ashram des « singers from Amrika » aux rares visiteurs. Ils doivent désormais laisser leur place à de vrais gardiens. L’entrée a été fixée à 150 roupies (2 euros) pour les Indiens et 700 roupies pour les étrangers.

L’ashram est le dernier vestige d’une époque où l’Occident matérialiste espérait être sauvé de lui-même par des messagers de l’amour et de la paix aux longs cheveux et à la barbe hirsute. Les Beatles ont vite déchanté. Ringo Starr, qui était arrivé avec une valise remplie de boîtes de conserve de haricots blancs, est malgré tout reparti une semaine plus tard à cause

de problèmes à l’estomac.

Un graffiti représentant les Beatles sur un mur de l'ashram, à Rishikesh.

John Lennon pensait trouver la paix dans la méditation, mais il a souffert de terribles insomnies à cause du manque de drogue. Un des disciples de l’ashram, appelé « jungle Jim », était par ailleurs bien encombrant : il prenait régulièrement son fusil, après avoir médité, pour tuer les tigres dans la forêt d’à côté. L’ambiance n’était ainsi pas toujours très « peace and love ».

48 chansons écrites

Les quatre membres du groupe ont aussi été déçus par l’attitudedu Maharishi Mahesh Yogi. Celui qui prônait le détachement et l’état d’éveil à la conscience cosmique n’a-t-il pas fait des avances à la jeune mannequin Mia Farrow, également présente sur place ?

Au bout de six semaines, les Beatles ont donc laissé de côté la méditation transcendantale et fait leurs valises pour l’Europe. De cet épisode, il restera tout de même 48 chansons, écrites lors de leur séjour, parmi les meilleures du groupe, dont I’m so Tired et Across the Universe.

Un panneau rappelle que les Beatles ont séjourné avec leur gourou Maharishi Mahesh Yogi à Rishikesh, en 1968.

Cette mésaventure n’a pas empêché le yogi de poursuivre sa carrière ailleurs, en Europe et aux Etats-Unis, et d’amasser des millions de dollars, toujours en louant la paix intérieure et l’amour universel. Jusqu’à sa mort — ou plutôt sa réincarnation — en 2008.

Tirant les leçons du passé, les responsables du nouvel ashram ne veulent plus changerle monde, mais augmenter la fréquentation touristique. Sauf que l’endroit se trouve

en lisière d’une réserve protégée de tigres, théoriquement interdite aux visiteurs. A moins de convertir les bêtes à la méditation et au yoga…

Lire aussi :Maharishi Mahesh Yogi, le gourou des Beatles

Avis de recherche pour Ethan Couch, qui a rompu ses conditions de probation, lancé en décembre 2015 par les autorités américaines. U.S. MARSHALS SERVICE VIA AP

Avis de recherche pour Ethan Couch, qui a rompu ses conditions de probation, lancé en décembre 2015 par les autorités américaines. U.S. MARSHALS SERVICE VIA AP

Lors de son procès, la défense avait plaidé « l’insatisfaction des gens qui ont tout ». Ethan Couch, alors âgé de 16 ans, était poursuivi pour avoir renversé et tué quatre personnes alors qu’il conduisait en état d’ivresse en juin 2013. Au grand dam d’une partie de l’opinion américaine, cette ligne de défense, celle de l’enfant gâté, avait fonctionné : cet adolescent issu d’une famille fortunée avait été condamné à un régime de probation, au lieu des vingt ans d’emprisonnement requis par les procureurs.

Or Ethan Couch a encore fait des frasques en décembre 2015, en bafouant les règles qui lui étaient imposées, comme le rapporte la chaîne américaine CNN. Une vidéo circulant sur Internet montre le jeune homme s’adonner à des jeux d’alcool lors d’une fête. La consommation d’alcool, interdite aux Américains de moins de 21 ans, constitue une violation de son contrôle judiciaire. Mais quand la police s’est présentée à son domicile, elle n’a pas trouvé trace d’Ethan Couch ni de sa mère.

Pendant plusieurs semaines, la police a recherché le jeune homme, et fini par le retrouver en compagnie de sa mère, à Puerto Vallarta, sur la côte ouest du Mexique. Il a été arrêté lundi 28 décembre, selon les autorités américaines et mexicaines citées par le New York Times.

‘Affluenza’ teen arrested in Mexican resort after weeks on the run https://t.co/x9A69U3uj1pic.twitter.com/fI8vayMkvE

— Mashable (@mashable) 29 Décembre 2015

Trop d’aisance financière

Ce nouvel épisode a relancé le débat aux Etats-Unis sur l’« affluenza teen », surnom donné à Ethan Couch, dérivé du néologisme sur lequel s’était basée sa défense. Le mot mélange les termes « affluence »(« richesse ») et « influenza »(« grippe »). La « pathologie de l’enfant gâté », victime de tant d’aisance financière qu’il en serait devenu incapable de se rendre compte des conséquences de ses actes, avait été présentée pour défendre Ethan Couch devant la cour.

« Le message principal doit absolument être que l’argent et les privilèges ne peuvent pas acheter la justice dans ce pays« , espérait alors Eric Boyles, cité par CNN, dont la femme et la fille ont été renversées par le conducteur alcoolisé.

C’est pourtant sur la base de l’« affluenza » que, sans jamais avoir exprimé de regrets, l’accusé a écopé d’une ordonnance de soins psychiatriques et d’une mise à l’épreuve de dix ans.

« J’aimerais n’avoir jamais utilisé ce terme, tout le monde semble être resté scotché à ce mot, regrette sur CNN Dick Miller, le psychologue qui l’a évoqué à l’audience. Nous avons l’habitude de qualifier ces personnes d’enfants gâtés. »

Pour avoir violé ses conditions de probation, le jeune homme encourt dix ans de prison, comme l’avait souligné les procureurs au moment de la condamnation.

  • Facebook
  • Twitter
  • Google Plus
  • Delicious
  • Digg
  • StumbleUpon
  • Add to favorites
  • Email
  • RSS

Signaler ce contenu comme inapproprié

Au Chaos Computer Club, à Hambourg, le 27 décembre 2015. AXEL HEIMKEN / DPA via AP

Au Chaos Computer Club, à Hambourg, le 27 décembre 2015. AXEL HEIMKEN / DPA via AP

Le caractère répressif et fermé du régime de Corée du Nord apparaît crûment dans la manière dont il a conçu le système d’exploitation national, Redstar OS.

Ce système d’exploitation – logiciel qui permet à un ordinateur de fonctionner, comme Windows, Mac OS ou Linux – développé par le régime, n’est utilisé qu’à l’intérieur du pays et a été étudié par deux chercheurs en informatique, qui viennent de présenter leurs conclusions au Chaos Computer Club, une conférence qui se tient annuellement à Hambourg.

> Lire aussi : Le Chaos Communication Congress, place forte de la contre-culture numérique

Dans le passé, quelques exemplaires avaient pu être extraits de Corée du Nord et l’année dernière lors de cette même conférence, des images de ce système d’exploitation avaient été dévoilées, et mais c’est la première fois que Redstar OS est décortiqué en profondeur.

Ce dernier comporte tous les outils qu’on peut attendre d’un système d’exploitation moderne : un navigateur Internet, un traitement de texte, un antivirus… Le tout dans un design qui ressemble étrangement à Mac OS, d’Apple.

Mais deux fonctionnalités montrent à quel point le régime veut contrôler les activités des Nord-Coréens sur ces ordinateurs. Selon les chercheurs, Niklaus Schiess et Florian Grunow, à chaque fois qu’une clé USB contenant des fichiers multimédia est branchée à un ordinateur équipé de ce système, une marque unique et invisible leur est apposée. Le but de la manœuvre est simple : alors que le régime cherche absolument à contrôler les échanges clandestins de films et de musique occidentales dans le pays, il a trouvé là le moyen parfait de savoir qui et quand a transféré les fichiers interdits. Cela lui permet de « suivre qui a ce fichier, qui l’a créé, qui l’a ouvert », a expliqué M. Schiess au site spécialisé Motherboard.

Un autre dispositif permet de détecter tout changement fait au code de ce système d’exploitation : si l’utilisateur essaie d’une quelconque façon d’en modifier, même marginalement, le fonctionnement, l’ordinateur redémarre ou devient inutilisable.

> Lire aussi : Comment les étudiants nord-coréens utilisent Internet

  • Facebook
  • Twitter
  • Google Plus
  • Delicious
  • Digg
  • StumbleUpon
  • Add to favorites
  • Email
  • RSS

Signaler ce contenu comme inapproprié

De quoi avons-nous besoin ? L’homme qui vit pour manger, boire, dormir, se vêtir, se promener, se donner enfin tout ce qu’il peut se donner, qu’il soit le parasite couché au soleil, l’ouvrier buveur, le bourgeois serviteur de son ventre, la femme absorbée dans ses toilettes, le viveur de bas étage ou le viveur de marque, ou qu’il soit simplement l’épicurien vulgaire, mais bon garçon, trop docile aux besoins matériels, cet homme-là, disons-nous, est engagé sur la pente du désir, et cette pente est fatale. Ceux qui la descendent obéissent aux mêmes lois que les corps roulant sur un plan incliné. En proie à une illusion sans cesse renaissante, ils se disent: encore quelques pas, les derniers, vers cet objet là-bas qui attire notre convoitise… Puis nous nous arrêterons. Mais la vitesse acquise les entraîne. Plus ils vont, moins ils peuvent lui résister. Voilà le secret de l’agitation, de la rage de beaucoup de nos contemporains. Ayant condamné leur volonté à être l’esclave de leurs appétits, ils reçoivent le châtiment de leurs œuvres. Ils sont livrés aux fauves désirs, implacables, qui mangent leur chair, broient leurs os, boivent leur sang et ne sont jamais assouvis. Je ne fais pas ici de morale transcendante, j’écoute parler la vie en notant au passage quelques-unes des vérités dont tous les carrefours nous répètent l’écho. L’ivrognerie, si inventive pourtant de breuvages nouveaux, a-t-elle trouvé le moyen d’éteindre la soif? Non, on pourrait plutôt l’appeler l’art d’entretenir la soif et de la rendre inextinguible. Le dévergondage émousse-t-il l’aiguillon des sens? Non, il l’exaspère, et convertit le désir naturel en obsession morbide, en idée fixe. Laissez régner vos besoins et entretenez-les, vous les verrez se multiplier comme les insectes au soleil. Plus vous leur avez donné, plus ils demandent. Il est insensé celui qui cherche le bonheur dans le seul bien-être. Autant vaudrait entreprendre de remplir le tonneau des Danaïdes. À ceux qui ont des millions il manque des millions, à ceux qui ont des mille, il manque des mille. Aux autres il manque des pièces de vingt francs ou de cent sous. Quand ils ont la poule au pot ils demandent l’oie, quand ils ont l’oie ils voudraient la dinde et ainsi de suite. On ne saura jamais combien cette tendance est funeste. Il y a trop de petites gens qui veulent imiter les grands, trop d’ouvriers qui singent le bourgeois, trop de filles du peuple qui font les demoiselles, trop de petits employés qui jouent au clubman et au sportsman, et dans les classes aisées et riches, trop de gens qui oublient que ce qu’ils possèdent pourrait servir à mieux qu’à s’accorder toutes sortes de jouissances pour constater après qu’on n’en a jamais assez. Nos besoins, de serviteurs qu’ils devraient être, sont devenus une foule turbulente, indisciplinée, une légion de tyrans au petit pied. On ne peut mieux comparer l’homme esclave de ses besoins qu’à un ours qui a un anneau dans le nez et qu’on mène et fait danser à volonté. La comparaison n’est pas flatteuse; mais avouez qu’elle est vraie. C’est par leurs besoins qu’ils sont traînés, tant de gens qui se démènent, crient et parlent de liberté, de progrès, de je ne sais quoi encore. Ils ne sauraient faire un pas dans la vie, sans se demander si cela ne contrarie pas leurs maîtres. Que d’hommes et de femmes sont allés, de proche en proche, jusqu’à la malhonnêteté, pour la seule raison qu’ils avaient trop de besoins et ne pouvaient pas se résigner à vivre simplement! Il y a dans les cellules de Mazas nombre de pensionnaires qui pourraient nous en dire long sur le danger des besoins trop exigeants. Laissez-moi vous conter l’histoire d’un brave homme que j’ai connu. Il aimait tendrement sa femme et ses enfants, et vivait en France, de son travail, dans une jolie aisance, mais qui était loin de suffire aux besoins luxueux de son épouse. Toujours à court d’argent, alors qu’il aurait pu vivre largement avec un peu de simplicité, il a fini par s’expatrier dans une colonie lointaine où il gagne beaucoup d’argent, laissant les siens dans la mère patrie. Je ne sais ce que cet infortuné doit penser là-bas; mais les siens ont un plus bel appartement, de plus belles toilettes, et un semblant d’équipage. Et pour le moment leur contentement est extrême. Mais ils seront bientôt habitués à ce luxe après tout rudimentaire. Dans quelque temps madame trouvera son ameublement mesquin, et son équipage pauvre. Si cet homme aime sa femme comme il n’en faut point douter, il émigrera dans la lune pour avoir un plus gros traitement.—Ailleurs les rôles sont renversés, c’est la femme et les enfants qui sont sacrifiés aux besoins voraces du chef de famille à qui la vie irrégulière, le jeu et tant d’autres folies coûteuses font oublier ses devoirs. Entre ses appétits et son rôle paternel il s’est décidé pour les premiers et lentement il dérive vers l’égoïsme le plus vil. Si vous souhaitez en savoir plus, je vous laisse le lien vers le site de l’agence séminaire à Deauville, réunion annuel sur le thème.

Interdits en France depuis l’embargo européen de juin 2014, vingt-cinq vins de Crimée ont été goûtés le 15 décembre à la résidence de l’ambassadeur de Russie, à Paris, lors d’une soirée de dégustation.

Le président russe Vladimir Poutine dans une cave du domaine de Massandra, en Crimée, le 11 septembre 2015.

Pour parvenir jusqu’aux tables de l’ambassade parisienne de Russie, vingt-cinq cuvées venues de Crimée pour être servies à des invités triés sur le volet ont dû voyager par valise diplomatique. Depuis dix-huit mois, les vins de cette région sont interdits en France. A la suite du rattachement de la Crimée à la Russie, le Conseil des affaires étrangères de l’Union européenne a interdit l’importation de marchandises originaires de la région à compter du 25 juin 2014.

La Crimée produit des vins depuis plus de trois mille ans, avec une formidable explosion sous le règne du tsar Nicolas II, amoureux de beaux flacons. Aujourd’hui, les vignobles sont regroupés dans la région de Massandra, près de Yalta, à l’extrême sud, un bord de mer où le climat, très méditerranéen, favorise la production de vins sucrés, souvent mutés. Il s’en vendait quelques centaines de bouteilles en France chaque année, à des amateurs avertis.

La dégustation chez l’ambassadeur russe était organisée par Michel-Jack Chasseuil, un grand collectionneur de vins anciens. Retraité des industries Dassault, il possède entre autres un millier de vins de Crimée, achetés patiemment depuis 1997. « Jusqu’à l’an dernier, j’y allais au moins deux fois par an. On me connaît bien à la cave de Massandra. J’y achetais régulièrement des bouteilles de la réserve personnelle du tsar. La dernière date d’ailleurs de 1894. Mais cette année, tout a changé. »

Il a d’abord fallu obtenir un visa « et ce n’était pas simple ». Une fois sur place, il prépare ses emplettes, mais surprise : « Les cartes de crédit françaises sont bloquées là-bas ! Impossible d’acheter la moindre bouteille. » De toute façon, il lui aurait été interdit de les rapporter en France. Pour autant, Michel-Jack Chasseuil n’a pas renoncé. « Pour moi, ce sont les plus grands liquoreux du monde, je me donne comme mission de les faireconnaître en France. »

Le gratin des dégustateurs

Il fait part de son désappointement au ministre de l’agriculture de Crimée, qui fait envoyer gracieusement des caisses au siège du ministère moscovite, qui l’achemine à son tour vers l’ambassade à Paris, contre la promesse d’une soirée réunissant le gratin des dégustateurs.

Comme les vins ne peuvent pas sortir de l’ambassade, ce sont les invités qui viennent. Parmi la petite centaine de convives réunis ce soir-là, le meilleur sommelier du monde Olivier Poussier, les producteurs Loïc Pasquet (Liber Pater) et Gérard Chave, le sénateur Jean Bizet ou encore Laurent Dassault. Au menu, vingt vins des caves de Massandra et cinq cuvées de la vallée du Soleil – les œnologues invités sont, eux, restés bloqués en Crimée faute de passeport valide.

Si les amateurs se sont extasiés sur la qualité des vins, la dégustation n’a pas réjoui tout le monde : les mouvements de soutien à l’Ukraine ont dénoncé sur les réseaux sociaux cette soirée « à base de vins volés ». En septembre dernier, le parquet ukrainien a ouvert une enquête judiciaire pour « appropriation de biens publics » après la dégustation par Vladimir Poutine et l’ex-premier ministre italien Silvio Berlusconi d’un xérès datant de 1775 lors de leur visite dans la péninsule de Crimée, une des cinq bouteilles du cœur de la collection de Massandra. Trois jours après la soirée à l’ambassade, l’Union européenne a voté la prolongation des sanctions économiques pour six mois supplémentaires.

Récompensé par le prix Nobel pour sa transition démocratique, le pays applique encore des lois héritées de la dictature qui permettent la détention de milliers de personnes.

Dans la nouvelle démocratie tunisienne, tout consommateur ou détenteur «de plantes ou matières stupéfiantes» «à usage de consommation personnelle» encourt une lourde peine d'emprisonnement et une amende.

Ils sont la mauvaise conscience de la transition démocratique tunisienne. Et le caillou dans les mocassins d’un Prix Nobel de la paix. Ala Eddine Slim, Fakhri El-Ghezal et Atef Maatallah sont trois artistes tunisiens, âgés de 30 à 35 ans, porte-drapeau de cette nouvelle génération qui ne s’est pas faite à l’idée que le « printemps » de 2011 était une parenthèse close. Au moment où leur pays s’enorgueillit d’avoir été couronné par le comité d’Oslo pour la réussite de sa démocratisation, seule « révolution arabe » à avoir survécu, les trois jeunes gens ont été condamnés à Nabeul (nord-est), le 25 novembre, à un an de prison et 1 000 dinars (450 euros) d’amende pour… détention de stupéfiants.

La sentence a fait l’effet d’une douche froide en Tunisie, où Ala Eddine Slim, Fakhri El-Ghezal et Atef Maatallah sont connus pour leur œuvre tout autant que pour leur combat contre l’archaïsme des politiques du ministère de la culture. Lundi 21 décembre, rebondissement : saisi en appel, le tribunal de Nabeul les acquitte.

Mais l’affaire est emblématique. Elle illustre à quel point la démocratie est fragile, incertaine, paradoxale en Tunisie. Un mélange de vraies percées – en particulier pour la liberté d’expression –, de lois coercitives conservées de l’ancien régime et, dans certains cas, de franches régressions.

Le 10 décembre, la condamnation à trois ans d’emprisonnement de six étudiants de Kairouan (centre) pour homosexualité avait ajouté à l’inquiétude des milieux de défense des droits de l’homme en Tunisie.

Entre anti-terrorisme et archaïsme

Dans le cas des trois artistes de Nabeul, l’affaire de stupéfiants se mêle à un contexte sécuritaire de lutte antiterroriste, dans un cocktail révélateur de l’air du temps. Le 19 novembre, Atef Maatallah, peintre et dessinateur, et Fakhri El-Ghezal, photographe et plasticien, rendaient visite à leur ami Ala Eddine Slim, réalisateur, dans sa maison de Nabeul.

Les trois artistes portent la barbe bohème. Problème : dans la Tunisie de 2015, confrontée à une série sans précédent d’attentats djihadistes, qui ont fait un total de 72 morts, la crispation sécuritaire est telle que porter la barbe est devenu suspect, surtout quand l’attribut est le fait d’un groupe. Aussi le va-et-vient régulier de barbus dans la maison d’Ala Eddine Slim a-t-il apparemment attiré l’attention de certains riverains soupçonneux. Tout indique que la maison était déjà surveillée par la police. Et lorsque ce 19 novembre, les amis de passage sortent de la voiture une valise à caméra, le détail semble précipiter les choses. Une quinzaine de policiers foncent sur la maison, pensant démanteler une cellule terroriste. Ils ne découvrent qu’une bande de créateurs en train de boire de la bière.

Condamnés le 25 novembre à un an de prison et 450 euros d’amende pour possession de drogue, le cinéaste Ala Eddine Slim et deux de ses amis ont été acquittés en appel.

Le mobile politique s’effondre. Mais la police et la justice en Tunisie disposent d’une redoutable arme juridique pour se rattraper : la fameuse loi 92-52. Communément appelée « loi 52 », cette disposition du code pénal prévoit une peine de un à cinq ans de prison et une amende oscillant entre 1 000 et 3 000 dinars contre tout consommateur ou détenteur « de plantes ou matières stupéfiantes » « à usage de consommation personnelle ». Sommés de se livrer à un test d’urine, les trois artistes refusent afin de « garder le contrôle de leur intégrité physique », rapporte le documentariste Belhassen Handous, qui se mobilise avec d’autres pour dénoncer cette affaire. Incapable de prouver la « consommation » de drogue, le tribunal de Nabeul condamne néanmoins Ala Eddine Slim, Fakhri El-Ghezal et Atef Maatallah pour « détention ».

Lire aussi (édition abonnés) :En Tunisie, un raidissement sécuritaire généralisé

11 000 prisonniers victimes de la “loi 52”

L’acquittement du 21 décembre ne règle pas la question de fond : le maintien de cette loi 52 dans une Tunisie censée établir sa démocratie. « Cette loi régressive adoptée en 1992 avait clairement pour objet de contrer les adversaires de Ben Ali, commente Yosra Nafti, l’épouse d’Ala Eddine Slim. Il faut espérer que cette affaire va vraiment fairebouger les choses et que cette loi finira par être abrogée. »

Selon les Nations unies, la moitié des 13 000 personnes en détention provisoire et le tiers des 11 000 prisonniers en Tunisie ont été arrêtés en vertu de cette loi anti-toxicomanie. Les partisans de son abrogation mettent en avant l’effet destructeur d’une telle politique pénale sur toute une jeunesse, exposée au cauchemar carcéral pour un simple joint. Face à leur mobilisation, les promesses d’hommes politiques et de certains ministres de la justice n’ont pas manqué. Aucun n’a pourtant eu le courage de joindre l’acte à la parole, nourrissant une profonde amertume au sein de la société civile tunisienne. « L’ancien régime est de retour, dénonce Belhassen Handous. On assiste

à une régression des libertés. Une chape de plomb est en train de s’abattre au nom de la lutte antiterroriste. »

Lire aussi : En Tunisie, les homosexuels encourent toujours la prison