Edifié à la gloire de l’empire khmer et financé par Pyongyang, l’Angkor Panorama Museum représente une manne financière pour le régime nord-coréen, qui cherche à contourner les sanctions internationales liées à la relance de ses essais nucléaires.
C’est la pièce maîtresse de l’Angkor Panorama Museum, qui vient d’ouvrir à Siem Reap, au Cambodge. Une fresque à 360 degrés, de 13 mètres de haut et 120 mètres de long, que l’on contemple juché sur un gradin central censé représenter le sommet du Phnom Bakheng,
le temple-colline dominant la plaine d’Angkor. Guerre entre les Khmers et les Chams, édification du temple du Bayon, vie quotidienne à l’âge d’or khmer… 45 000 personnes sont représentées sur cette composition. Les travailleurs ont des corps vigoureux, les femmes pilent le riz gaiement, on danse et on trinque à l’époque de Jayavarman VII.
« Il y avait quand même des esclaves », nuance notre guide cambodgien, en pointant un garde
muni d’un fouet. Il nous signale aussi ces visages aux traits coréens qui se sont glissés parmi la foule. « Les peintres ont travaillé à partir de photos », explique le jeune homme. Car ce musée à la gloire de l’empire khmer (802-1431) — bâtisseur de la merveilleuse cité-Etat d’Angkor, inscrite au Patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1992 — est une œuvre 100 % nord-coréenne. Il a été réalisé par le Mansudae Art Studio, un atelier d’Etat employant 5 000 personnes dévoué à la propagande de Kim Jong-un. Plus d’une année a été nécessaire à 63 « artistes méritants » pour réaliser l’immense fresque.
Un coût de 24 millions d’euros
On y accède moyennant un billet d’entrée de 15 dollars (13,30 euros), moitié moins pour les Cambodgiens. Un tarif dissuasif pour les uniques visiteurs rencontrés ce matin de février, une famille malaisienne qui s’est rabattue sur la salle de cinéma. Pour 5 dollars, ces touristes ont apprécié le petit film en images de synthèse qui retrace la construction des temples sur une musique épique. Le musée aurait coûté 24 millions d’euros à la Corée du Nord. Le contrat prévoit qu’elle empoche les revenus engrangés par l’établissement pendant dix ans, puis qu’ils soient partagés équitablement avec l’Autorité pour la protection du site et l’aménagement de la région d’Angkor (Apsara) les dix années suivantes, avant d’être
entièrement transférés à l’organisme cambodgien.
Lors de l’inauguration, Sok An, le vice-premier ministre chargé d’Apsara, a rejeté catégoriquement les critiques sur ce partenariat avec la dictature ermite. « L’investissement de Mansudae contribue non seulement au développement socio-économique du Cambodge, mais aussi à renforcer l’amitié et la coopération entre nos deux nations », a-t-il déclaré à la presse.
Ce lien entre Corée du Nord et Cambodge n’est pas nouveau. Le roi Norodom Sihanouk et Kim Il-sung se sont rencontrés, en 1961, au sein du mouvement des non-alignés. Après avoir été renversé par un coup d’Etat en 1970, le monarque avait trouvé asile dans un palais de 60 chambres à Pyongyang, où il put s’adonner à sa passion pour le cinéma en tournant quelques films. Mais ces dernières décennies, sous la houlette du premier ministre Hun Sen, Phnom Penh s’est davantage rapproché de Séoul, devenu le deuxième investisseur au Cambodge.
La construction de l’Angkor Panorama Museum est-elle une manière de contrebalancer cette influence dans le petit royaume ? Plusieurs observateurs rappellent que ces grands projets sont avant tout une manne financière pour le régime du Juche. « Pyongyang cherche à identifier de nouvelles sources de liquidités à l’étranger. Cela lui permet de faire entrer du cash en contournant les sanctions économiques internationales instaurées en réaction à ses essais nucléaires », analyse Greg Scarlatoiu, président du Comité pour les droits de l’homme en Corée du Nord. Selon lui, ses activités extérieures permettraient à la dictature d’encaisser
de 120 à 230 millions de dollars par an.
Vidéo : visite virtuelle du musée
Par Eléonore Sok