Juste devant les agents d’assurances et les politiques, les journalistes exercent une des professions en qui les Français ont le moins confiance, dit un sondage. Un autre les place juste derrière les banques. Et pourtant, un lundi soir, ils sont quelques centaines de spectateurs à avoir payé pour venirécouter une quinzaine de journalistes sur la scène d’un théâtre parisien.
L’idée, dit le programme de Live Magazine, au théâtre de L’Atelier le 8 février, est celle d’un « journal vivant ». Si on le compare au journal papier, le journal vivant présente quelques inconvénients. Il faut se déplacer, prendre une baby-sitteuse et éteindre son portable. Mais le journal vivant règle aussi d’autres problèmes pour les entreprises de presse. Pas de page tournée avant la fin d’un article, de télécommande à portée de main, de nouvel onglet ouvert en milieu d’article. Nous voilà enfermés avec ses sujets. Impossible de cesser d’écouter ou de regarder ailleurs. Même pour des histoires qui se passent loin de chez nous, même face aux images de Homs dévastée filmées par un drone.
Le journal vivant, sous ses aspects artisanaux, c’est aussi une ébauche de modèle économique à l’heure du tout-gratuit. Il faut payer pour suivreLive Magazine, et le vivant n’est pas piratable. « Pas de captation, pas de replay », promet Florence Martin Kessler, l’organisatrice de l’événement, qui a tout de même prévu un hashtag de la soirée à destination des réseaux sociaux, pour que tous ceux qui en ignoraient l’existence sachent ce qu’ils ont raté. « On n’a pas fini de vousraconter des histoires », promet le programme, ce qui est la moindre des choses de la part de journalistes, maintenant que n’importe quel homme politique ou étiquette de jus de fruits croit indispensable de s’inventer une story.
La glossophobie (la crainte de prendre la parole en public) est une des peurs les plus répandues (oui, la mort n’arrive qu’après). Et c’est par cela que le trio organisateur ouvre la soirée, par des extraits des messages terrifiés des participants qui leur disaient quelques jours plus tôt que, si d’autres personnes étaient sollicitées pour les remplacer, ils n’en prendraient pas ombrage. Mais ils ont beaucoup répété, et ne se croient pas tous obligés de parler sans notes en traversant la scène façon Steve Jobs. Estelle Saget, journaliste à L’Express, lit son texte sur un pupitre devant elle pour raconter l’heure et demie interminable que Michel Catalano a passée avec les frères Kouachi dans son imprimerie de Dammartin-en-Goële. Cette histoire que l’on croyait connaître, on la redécouvre sans photo, sans image, sans la voix même de l’homme pour raconter la descente d’escalier la plus longue du monde pour sortir de son imprimerie. Dans un journal vivant, on s’entend respirer. Plus encore quand la journaliste signale qu’il est assis dans la salle ce soir.
C’est la septième édition de Live Mag.« Le premier, c’était vraiment le premier », reconnaissent ceux qui les ont suivis depuis le début. Le spectacle s’est suffisamment professionnalisé pour en savourer les grumeaux, les « non, ça c’était à moi de le dire », les sorties hors des lignes par le photographe octogénaire Isi Véléris, qui oublie son texte, tout comme il a perdu sa photo de Jimi Hendrix mangeant des corn flakes.
Du Sri Lanka, la journaliste Vanessa Dougnac montre des carnets pleins de témoignages dont elle n’a rien pu faire, des photos qu’elle a prises mais qui ne racontent pas l’essentiel. « Je m’endormais dévastée par mon impuissance », raconte-t-elle de son reportage. Et si c’était comme ça qu’on les aimait les journalistes, loin des fantasmes de quatrième pouvoir et tout en notes de bas de page ?
Baskets rouges et tee-shirt à chaton, Florent Maurin, un ancien d’Okapi, raconte son arrivée en province. Oui, un journaliste parisien qui débarque en Saône-et-Loire, dans une soirée de la capitale, c’est un sujet journalistique. Ses blagues ne racontent pas la Saône-et-Loire bien sûr, mais les Parisiens comme lui, comme tous ceux assis face à lui, incapables de fonctionner hors de Paris. Entre deux histoires de journalistes, des mimes belges parodient les contorsions que nous exécutons désormais automatiquement sous les portiques de sécurité. C’est drôle, au moins autant que l’infographie du classement des pays en fonction du pourcentage de groupes de heavy metal par habitant réalisée par une équipe de datajournalistes. « C’est bien d’avoir des trucs marrants de temps en temps, glisse un spectateur à sa voisine. Un peu comme dans un journal en fait. »