Face à la montée des radicalismes religieux, un groupe d’athées indiens a créé un culte parodique dont la divinité est Dinkan, un célèbre rongeur de BD doté de super-pouvoirs.
Pourquoi les athées indiens devraient-ils se priver de religion ?Plusieurs centaines de fidèles se sont réunis, le 20 mars, dans une salle de sport de Kozhikode, une ville du Kerala, dans le sud de l’Inde, pour le premier conclave d’une religion parodique, conçue comme un outil dans la lutte contre la superstition et la montée en puissance des religions. Il faut dire que, depuis l’arrivée au pouvoir des nationalistes du BJP (Bharatiya Janata Party) en mai 2014, les tensions religieuses se sont beaucoup accrues. D’autant que la frange conservatrice du parti nationaliste hindou au pouvoir, le Bharatiya janata Party (BJP), ne cesse de souligner le caractère exclusivement hindouiste du pays.
Les dévots de ce nouvel athéisme font tout comme les autres croyants. Ils se sont d’abord choisi une divinité, la souris volante Dinkan, personnage principal d’une bande dessinée pour enfants très populaire, Balamangalam, parue en 1983. Dinkan, agressée par des extraterrestres qui voulaient mener sur elle une expérience, a acquis des super-pouvoirs qu’elle utilise pour secourir les animaux.
Les dinkoistes ont aussi un texte sacré, qui explique l’origine du monde : « En se demandant comment tuer le temps, le seigneur Dinkan réalisa soudain qu’il n’avait pas créé le temps. Il se mit alors à éclater d’un rire sacré. Le trou noir dans lequel était plongé l’univers explosa dans un Big Bang qui créa un espace relié au temps, appelé ensuite le monde. »« Notre religion est la plus adaptée aux valeurs modernes de la société. Elle ne nous dit pas quoi manger, elle soutient le féminisme, adhère aux principes des droits de l’homme », explique Sukhesh Vadavil, l’un des premiers disciples. Ce jeune cadre en marketing défend la souris volante : « Si vous contestez cette thèse, alors apportez-moi des preuves. Nos croyances s’accompagnent d’un questionnement perpétuel. »
Des centaines de milliers de sympathisants
Le dinkoisme pourra-t-il aiderles membres du mouvement indien des « rationalistes » à convertir les religieux à l’athéisme ? « Puisque les “rationalistes” ne sont pas pris au sérieux par les croyants, on s’est dit que ce serait plus efficace si on créait nous-mêmes une religion », explique Sukhesh Vadavil. Une tactique plus prudente aussi, car plusieurs « rationalistes » ont été assassinés ces dernières années pour avoir voulu s’attaquer de front aux superstitions.
Le premier conclave dinkoiste, le 20 mars 2016 (The Indian Telegram, 2’:15’’)
Le dinkoisme revendique déjà des centaines de milliers de sympathisants, en majorité sur les réseaux sociaux. Ainsi, le 1er avril, Venkat Raghavan, un cadreur de Madras, a annoncé sa conversion sur Facebook. « La montée du radicalisme religieux m’inquiète (…) et le meilleur moyen de combattre l’irrationalité est de la tourner en dérision. » Car la tension autour des questions religieuses ne cesse d’occuper l’espace public. Au Kerala, des groupes font le guet à la sortie des universités pour protéger les étudiantes hindoues contre les supposés « love jihad » des jeunes musulmans qui les courtiseraient. En mars, des musulmans ont violemment manifesté devant les locaux d’un journal, à Kozhikode, qui aurait selon eux blasphémé le prophète Mahomet.
Les dinkoistes manifestent eux aussi lorsqu’un livre ou un film « heurte leurs convictions religieuses ». Ils possèdent une « armée de rats », qui s’est rassemblée, en janvier, devant le restaurant appartenant à un acteur qui incarnera bientôt sur grand écran les aventures de Dinkan. Comme les autres religions, le dinkoisme s’est approprié un lieu sacré, la forêt de Pankila, qui a servi de décor aux aventures de la souris. Les fidèles demandent désormais aux autorités l’arrêt des extractions minières illégales qui y sont pratiquées.
Les dinkoistes se sont rendu aussi compte que la religion leur offrait une meilleure visibilité, notamment auprès des autorités, et leur permettait de réclamer la censure de ceux qui les critiquent. Elle pourrait même leur ouvrir les voies de la politique. Et si cela leur permettait de peser lors des prochaines élections…