[Chronique] Politiquement, la situation du premier ministre ne pourrait pas être pire. Stylistiquement ? Elle pourrait être meilleure…

En 1991 : haut placé

Manuel Valls, le 25 janvier 1991, à Matignon.

Nom de dieu ! Manuel Valls est chargé de mission auprès du premier ministre Michel Rocard, sa cravate est correctement nouée d’un four-in-hand, sa chemise à col button down est en place, il est l’avenir du PS, le monde lui appartient. Sauf qu’une masse capillaire d’une hauteur proprement hallucinante, et symptomatique d’une non-maîtrise absolue du séchoir, repose sur son crâne. Et nous oblige à poser une question lourde de sens : un homme si mal coiffé peut-t-il vraiment avoir un « destin » ?

En 2002 : l’art de la diversion

Maire d'Evry (Essonne) et député, Manuel Valls arrive au bureau national du Parti socialiste, le 18 juin 2002.

La réponse à la question est évidemment « non ». L’ambitieux, devenu député et maire d’Evry, se plie donc en quatre pour régler le problème. L’introduction d’une raie aide un peu. Mais Valls mise surtout sur sa tenue pour faire diversion. Et cela marche. A côté de cette chemisette rose à poche à rabat et de ce Motorola StarTac accroché à la ceinture, sa coupe apparaîtrait presque décente. Le mot important dans cette phrase étant presque.

En 2007 : radar à l’orange

Manuel Valls, le 12 novembre 2007.

Cinq ans plus tard, le recours à un coiffeur et à un spray coiffant lui a permis de reprendre le contrôle de la situation. Mais il faut du temps pour refaire un vestiaire. Après le rose, l’orange. En kit. Ne manque que la pochette assortie. Mais gageons que Manuel la garde pour les grands jours.

En 2012 : mariage pour tous

Le ministre de l'intérieur Manuel Valls à son arrivée à la gare Saint-Charles de Marseille le 21 mai 2012.

Le ministre de l’intérieur du gouvernement Ayrault a, de toute évidence, retrouvé une certaine sérénité. Après être venu à bout d’une nature capillaire si récalcitrante, comment ne pas s’attaquer avec optimisme aux enjeux de sécurité ? Valls s’éclate dans son nouveau rôle. Au point d’arborer, ce jour-là, à Marseille, l’une de ces cravates de fête, en soie, couleur ivoire, que l’on observe plus communément dans les mariages.

En 2016 : comment faire le Jobs


La Valls est bel et bien terminée. Venu parlersport dans l’émission préférée des amateurs de cross-country et de water-polo, « Stade 2 », le premier ministre porte un pull col roulé qui rappelle furieusement celui, de la marque St. Croix, que ne quittait jamais Steve Jobs. Mais qui fait surtout craindre le moment du déshabillage. Rien de pire pour bousiller une coiffure que de retirer un peu vite un col roulé.

Manuel Valls dans l’émission « Stade 2 », le 27 mars 2016

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Face à la montée des radicalismes religieux, un groupe d’athées indiens a créé un culte parodique dont la divinité est Dinkan, un célèbre rongeur de BD doté de super-pouvoirs.

Les dinkoistes (ici, le 20 mars, lors du conclave de Kozhikode, dans le Kerala) arborent un tee-shirt à l'effigie de leur divinité : la souris de BD Dinkan.

Pourquoi les athées indiens devraient-ils se priver de religion ?Plusieurs centaines de fidèles se sont réunis, le 20 mars, dans une salle de sport de Kozhikode, une ville du Kerala, dans le sud de l’Inde, pour le premier conclave d’une religion parodique, conçue comme un outil dans la lutte contre la superstition et la montée en puissance des religions. Il faut dire que, depuis l’arrivée au pouvoir des nationalistes du BJP (Bharatiya Janata Party) en mai 2014, les tensions religieuses se sont beaucoup accrues. D’autant que la frange conservatrice du parti nationaliste hindou au pouvoir, le Bharatiya janata Party (BJP), ne cesse de souligner le caractère exclusivement hindouiste du pays.

« Notre religion est la plus adaptée aux valeurs modernes de la société. Elle ne nous dit pas quoi manger, elle soutient le féminisme, adhère aux principes des droits de l’homme. » Sukhesh Vadavil, dinkoiste

Les dévots de ce nouvel athéisme font tout comme les autres croyants. Ils se sont d’abord choisi une divinité, la souris volante Dinkan, personnage principal d’une bande dessinée pour enfants très populaire, Balamangalam, parue en 1983. Dinkan, agressée par des extraterrestres qui voulaient mener sur elle une expérience, a acquis des super-pouvoirs qu’elle utilise pour secourir les animaux.

Les dinkoistes ont aussi un texte sacré, qui explique l’origine du monde : « En se demandant comment tuer le temps, le seigneur Dinkan réalisa soudain qu’il n’avait pas créé le temps. Il se mit alors à éclater d’un rire sacré. Le trou noir dans lequel était plongé l’univers explosa dans un Big Bang qui créa un espace relié au temps, appelé ensuite le monde. »« Notre religion est la plus adaptée aux valeurs modernes de la société. Elle ne nous dit pas quoi manger, elle soutient le féminisme, adhère aux principes des droits de l’homme », explique Sukhesh Vadavil, l’un des premiers disciples. Ce jeune cadre en marketing défend la souris volante : « Si vous contestez cette thèse, alors apportez-moi des preuves. Nos croyances s’accompagnent d’un questionnement perpétuel. »

Des centaines de milliers de sympathisants

Le dinkoisme pourra-t-il aiderles membres du mouvement indien des « rationalistes » à convertir les religieux à l’athéisme ? « Puisque les “rationalistes” ne sont pas pris au sérieux par les croyants, on s’est dit que ce serait plus efficace si on créait nous-mêmes une religion », explique Sukhesh Vadavil. Une tactique plus prudente aussi, car plusieurs « rationalistes » ont été assassinés ces dernières années pour avoir voulu s’attaquer de front aux superstitions.

Le premier conclave dinkoiste, le 20 mars 2016 (The Indian Telegram, 2’:15’’)

Le dinkoisme revendique déjà des centaines de milliers de sympathisants, en majorité sur les réseaux sociaux. Ainsi, le 1er avril, Venkat Raghavan, un cadreur de Madras, a annoncé sa conversion sur Facebook. « La montée du radicalisme religieux m’inquiète (…) et le meilleur moyen de combattre l’irrationalité est de la tourner en dérision. » Car la tension autour des questions religieuses ne cesse d’occuper l’espace public. Au Kerala, des groupes font le guet à la sortie des universités pour protéger les étudiantes hindoues contre les supposés « love jihad » des jeunes musulmans qui les courtiseraient. En mars, des musulmans ont violemment manifesté devant les locaux d’un journal, à Kozhikode, qui aurait selon eux blasphémé le prophète Mahomet.

Dinkan, personnage principal d’une bande dessinée pour enfants, a acquis des super-pouvoirs après avoir été attaquée par des extraterrestres.

Les dinkoistes manifestent eux aussi lorsqu’un livre ou un film « heurte leurs convictions religieuses ». Ils possèdent une « armée de rats », qui s’est rassemblée, en janvier, devant le restaurant appartenant à un acteur qui incarnera bientôt sur grand écran les aventures de Dinkan. Comme les autres religions, le dinkoisme s’est approprié un lieu sacré, la forêt de Pankila, qui a servi de décor aux aventures de la souris. Les fidèles demandent désormais aux autorités l’arrêt des extractions minières illégales qui y sont pratiquées.

Les dinkoistes se sont rendu aussi compte que la religion leur offrait une meilleure visibilité, notamment auprès des autorités, et leur permettait de réclamer la censure de ceux qui les critiquent. Elle pourrait même leur ouvrir les voies de la politique. Et si cela leur permettait de peser lors des prochaines élections…

Le Monde | 06.04.2016 à 09h19 • Mis à jour le06.04.2016 à 09h21 |Par Laurent Telo

Le bouillant édile socialiste n’a pas ménagé Jan Jambon, ministre de l’intérieur, qu’il le juge responsable des perturbations de hooligans lors des hommages aux victimes des attentats du 22 mars.

Yvan Mayeur lors d'une conférence de presse après les attentats de Bruxelles, le 22 mars 2016.

Réformateur

Yvan Mayeur, membre du Parti socialiste francophone, surnommé « Armani » pour son look apprêté, est devenu bourgmestre de Bruxelles le 13 décembre 2013, à 53 ans. A peine élu,il réforme à tour de bras. Il bouleverse notamment les habitudes de la police bruxelloise, qu’il veut moins répressive, et bannit la voiture des grands boulevards du centre-ville.

Tacticien

Son prédécesseur, Freddy Thielemans, tout en gouaille et en rondeur, aurait préféré qu’un autre socialiste que Mayeur lui succède. Même l’appareil national du parti, emmené par

Elio Di Rupo, avait misé sur Philippe Close… qui n’a jamais osé se présenter. Yvan Mayeur, habile tacticien politique, avait réussi à rallier à sa cause les cadres intermédiaires du parti.

Intransigeant

Ancien militant de SOS racisme, Mayeur est un opposant médiatique du pouvoir fédéral incarné par une coalition de libéraux et de démocrates-chrétiens flamands. Un gouvernement bancal pas vraiment au goût du bourgmestre, qui ne se gêne pas pour l’interpeller sur Twitter : « Il n’y a plus d’Etat belge », clame-t-il lorsque le pouvoir tergiverse sur l’accueil des migrants.

Le ministre belge de l'intérieur Jan Jambon (à g.) et le maire de Bruxelles Yvan Mayeur, le 26 mars 2016, lors d'une conférence de presse à la suite du double attentat qui a fait 32 morts et 340 blessés dans la capitale belge.

Fort en gueule

La cible favorite de Mayeur : les nationalistes flamands qu’il faudrait, dit-il, « mettre hors d’état de nuire ». Le 27 mars, l’hommage aux victimes de Bruxelles a été perturbé par 400 hooligans. Mayeur a accusé le ministre de l’intérieur, Jan Jambon, un nationaliste flamand ultra, d’avoir délibérément laissé débarquer ces « fascistes » en plein Bruxelles.

Lire aussi Attentats de Bruxelles : Anne Hidalgo main dans la main avec le bourgmestre, Yvan Mayeur

  • Laurent Telo

    Journaliste au Monde

Le Monde | 04.04.2016 à 14h43 • Mis à jour le04.04.2016 à 15h42 |Par Julien Bouissou (New Delhi, correspondance)

Véritable passion nationale, les histoires drôles sur les Sikhs ne font pas rire tout le monde. En particulier les membres de la communauté, qui ont saisi la Cour suprême pour les faire interdire.

Lors d'une célébration sikhe, à Nihang, dans le nord de l'Inde, un homme porte un turban de 650 m de long.

La très prestigieuse Cour suprême indienne va-t-elle interdire les histoires drôles ? L’avocate Harvinder Chowdhury a saisi l’auguste institution pour réclamer l’interdiction des plaisanteries tournant en dérision les Sikhs. Selon elle, ces blagues heurtent les sentiments de la communauté, et ridiculisent les « Sardars », ceux qui portent le turban, en les faisant passer pour des « personnes idiotes et ridicules ». « Cela équivaut à une violation du droit fondamental à la dignité humaine garanti par la Constitution », a plaidé l’avocate, en octobre 2015, pour convaincre les juges de se saisir de cette plainte.

Ces histoires drôles sont sans doute, après le cricket, la deuxième passion du pays. Pas un Indien qui ne veuille impressionner son interlocuteur en lui livrant la dernière blague sikhe. En voici un modeste florilège : « Tiens, un oiseau mort, observe un passant. – Où est-il ? », demande le Sardar en levant les yeux vers le ciel. Ou encore : « Pourquoi un Sardar n’a-t-il jamais de glaçons chez lui ? Parce qu’il ne connaît pas la recette. »

5 000 sites Internets spécialisés

Les blagues sikhes sont au reste des Indiens ce que les blagues belges sont aux Français. Plusieurs humoristes indiens ont été arrêtés par la police pour avoir porté atteinte au sentiment et au respect d’autrui, qui limite la liberté d’expression dans le pays. Il suffit qu’un individu soit offusqué pour pouvoir réclamer la censure au nom de toute sa communauté. Mais « comment, concrètement, interdire ces histoires drôles ? », a demandé l’un des juges de la Cour suprême en octobre 2015. Il est en effet difficile d’identifier leurs auteurs ou d’obtenir la preuve que quelqu’un a ri en écoutant une blague interdite.

Les plaignants ont fourni une liste de 5 000 sites Internet spécialisés dans les blagues sikhes dans l’espoir que le ministère indien des nouvelles technologies en bloque l’accès. L’un des juges a observé que ces histoires sont si populaires parmi les Sikhs que ces derniers seront sans doute les premiers à se plaindre de leur interdiction. L’audience est prévue le 5 avril.

Lire aussi : En Inde, la caricature des divinités hindoues n’est plus en odeur de sainteté

  • Julien Bouissou (New Delhi, correspondance)

    Journaliste au Monde
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Critiqué pour ne pas lutter contre la radicalisation des jeunes, Stéphane Gatignon se sent seul contre tous : « Je ne suis soutenu ni par l’Etat ni par le gouvernement ».

Stéphane Gatignon maire de la ville de Sevran depuis 2001.

N’allez surtout pas dire à Stéphane Gatignon, maire écologiste de Sevran (Seine-Saint-Denis), que sa ville est un Molenbeek français. Depuis que Gilles Kepel, professeur à Sciences Po et spécialiste de l’islam, a fait la comparaison au JT de TF1 le mardi 22 mars, l’édile n’en finit pas de se justifier.

Europe 1, Public Sénat, iTélé, LCI : depuis les attentats de Bruxelles, il écume les plateaux télé pour marteler l’inverse. « Ça va trop loin, déplore-t-il. J’entends dire que les services municipaux sont fermés le vendredi, que les cantines sont halal, que certaines activités ne sont plus mixtes. C’est déjà dur pour les gens de Molenbeek mais pour les habitants de Sevran, c’est extrêmement violent ! » Début mars, l’élu a été mis en cause par les parents d’un jeune homme de 23 ans tué en Syrie, accusé d’avoir fermé les yeux sur la présence de « recruteurs » de l’organisation Etat islamique à Sevran et de ne pas assez lutter contre la radicalisation dans cette ville de près de 50 000 habitants. Ce qu’il réfute tout en constatant une « radicalisation qui gangrène nos territoires ».

Lire aussi La tribune de Stéphane Gatignon : on ne peut pas « rejeter la faute de la radicalisation sur une seule commune »

Difficile de prétendre le contraire quand lui-même reconnaît que « douze à quinze jeunes » Sevranais sont partis en Syrie dont « trois à quatre » uniquement en 2015. Quant à la lutte contre la radicalisation, il assure que « le boulot de fond est fait ». Un communiqué de cinq pages a même été envoyé à toutes les rédactions pour démentir les « fausses accusations » et détailler son action : accompagnement d’une association, en lien avec le ministère de l’intérieur, pour organiser des cours de français en direction des imams, formation spécifique du personnel municipal ou encore initiatives pour favoriser le dialogue interreligieux.

« Tous les réseaux socialistes en banlieue ont explosé, le PS est vomi, les gens au pouvoir sont vomis car ils ont trahi. Valls ne peut pas rester dans cette simple posture du “on est en guerre”, on a besoin d’un chef de guerre qui dise à chacun quoi faire. »

Pas de quoi convaincre Clémentine Autain, conseillère municipale du Front de gauche, sa meilleure ennemie locale. « On n’a pas le sentiment d’un maire qui prend le problème à bras- le-corps, critique-t-elle. Il est très absent du terrain. »

Il est rare de voir Stéphane Gatignon sur la défensive. A 46 ans, l’homme est un habitué des coups médiatiques. Maire de la ville depuis 2001, cet ancien communiste s’est fait remarquer pour avoir plaidé en faveur de la légalisation du cannabis ou pour l’envoi de « casques bleus » dans les cités afin de lutter contre les trafics de drogue. Son fait d’armes le plus célèbre est une grève de la faim en 2012. Echarpe tricolore en bandoulière, l’élu avait planté sa tente devant l’Assemblée et cessé de s’alimenter durant quelques jours pour alerter sur la situation financière de sa ville. « Ça nous a sauvé la mise », affirmait-il à l’époque après avoir obtenu une rallonge de la part de l’Etat.

Un écologiste « réformiste »

Aujourd’hui, Stéphane Gatignon se sent de nouveau seul contre tous : « Je ne suis soutenu ni par l’Etat ni par le gouvernement et je le regrette. » Il en deviendrait presque paranoïaque. « On me cherche, moi », affirme-t-il sans que l’on comprenne très bien pourquoi il serait visé. Et de critiquer l’exécutif accusé d’être « complètement coupé du monde réel ». « Tous les réseaux socialistes en banlieue ont explosé, le PS est vomi, les gens au pouvoir sont vomis car ils ont trahi, accuse-t-il. Valls ne peut pas rester dans cette simple posture du “on est en guerre”, on a besoin d’un chef de guerre qui dise à chacun quoi faire. »

Des attaques surprenantes de la part de cet écologiste « réformiste » qui a quitté Europe Ecologie-Les Verts en 2015 dans les bagages d’un Jean-Vincent Placé devenu secrétaire d’Etat à la réforme de l’Etat. Il met en garde contre ceux qui « jouent avec le feu ». « Ici, ce que j’entends, c’est un désir d’autoritarisme, un désir énorme de Marine [Le Pen], souligne-t-il. Pour la gauche, la banlieue, c’est fini. »

Abigail Disney ou encore Steven Rockefeller souhaitent contribuer davantage aux finances publiques de l’Etat pour moderniser les infrastructures ou encore développer l’aide sociale.

Ils sont cinquante et un, ils sont millionnaires, certains milliardaires, tous new-yorkais et signataires d’une lettre adressée fin mars au gouverneur de l’Etat intitulée : « Plan fiscal pour les 1 % ». Une nouvelle supplique pour payer moins d’impôts ? Tout le contraire. Ils réclament une augmentation du montant de la dîme qu’ils versent aux pouvoirs publics.

Parmi les signataires figurent l’héritière de Walt Disney, Abigail Disney, ou l’administrateur du Rockefeller Brothers Fund, Steven Rockefeller. « En tant que New-Yorkais qui ont contribué et profité du dynamisme économique de notre Etat, nous avons à la fois la capacité et la responsabilité de participer à l’effort commun, peut-on lire dans la lettre. Nous pouvons largement payer nos impôts, et nous pouvons aussi en payer plus. »

Le Rockefeller Center à Manhattan. Son administrateur Steven Rockefeller fait partie des signataires du "Plan fiscal pour les 1%".

Une petite révolution au pays de l’Oncle Sam, où les nantis sont d’ordinaire plus enclins à distribuer leurs deniers aux associations qu’à miser sur les pouvoirs publics. « Sauf qu’il y a de nombreux domaines auxquels la philanthropie ne s’intéresse pas, comme la réparation des conduites d’eau, la création d’une ligne de bus dans certains quartiers défavorisés… », souligne Mike Lapham, le directeur de projet du Responsible Wealth, un réseau de 500 riches Américains, à l’initiative de cette lettre.

C’est justement l’objectif de cette hausse des cotisations : rafraîchir les infrastructures vieillissantes (rénovation des ponts, des tunnels, des voies navigables et des routes). Mais aussi développer l’aide sociale aux sans-abri, financer l’éducation publique et lutter plus activement contre la pauvreté infantile.

« Les riches Américains peuvent payer plus, ça ne changera rien à leur vie, mais ça changera la vie de l’Etat de New York. » Dal LaMagna, surnommé le pape de la pince à épiler

Mis au point en collaboration avec le think tankFiscal Policy Institute, réputé plutôt de gauche, cet appel, également adressé à la législature de l’Etat, vise surtout à pérenniser une mesure temporaire appelée « la taxe des millionnaires ». Mise en place en 2009 à la suite d’une lettre similaire signée par une centaine de New-Yorkais, et renouvelée deux ans plus tard, elle est censée expirer fin 2017. Avec ce Plan pour les 1 %, l’Etat de New York pourrait arrondir son budget de 2,3 milliards de dollars supplémentaires.

L’un des signataires, Dal LaMagna, 69 ans, surnommé Tweezerman – le pape de la pince à épiler – (du nom de la société qu’il a créée en 1980 et vendue en 2004), fut un candidat éphémère à l’investiture démocrate pour la présidentielle de 2008. Aujourd’hui patron de IceStone USA (fabrication de comptoirs de cuisine à partir de verre recyclé et de ciment), il dit agir en « capitaliste responsable » : « Les riches Américains disent toujours qu’il faut baisser leurs impôts pour qu’ils puissent continuer à investir, mais c’est totalement faux ! Cet argument sert uniquement les intérêts des plus riches pour qu’ils deviennent encore plus riches, s’insurge-t-il. Comme moi, ils peuvent payer plus, ils ne s’en rendront même pas compte, ça ne changera rien à leur vie, mais ça changera la vie de l’Etat de New York. »

Dans une tribune au "New York Times", Warren Buffet avait appelé à augmenter les impôts des plus riches. Ici, en août 2015.

En 2011, le milliardaire Warren Buffett avait défrayé la chronique en publiant une tribune dans le New York Times appelant les autorités à augmenter les impôts des plus riches. Dans la foulée, il avait rendu public sa feuille d’impôts, soulignant qu’il n’avait versé à l’Etat fédéral que 17,4 % de son revenu imposable, soit un taux nettement plus bas que de nombreux Américains (jusqu’à 41 % pour les salaires les plus modestes), y compris sa secrétaire. Mais sa revendication avait été classée sans suite. « La réalité, c’est que plus vous êtes riche, moins vous payez d’impôts », confirme Mike Lapham, du Responsible Wealth.

Le thème a été repris par la candidate à l’investiture démocrate dans la course à la Maison Blanche, Hillary Clinton, qui s’est engagée à relever de 4 % l’impôt des Américains les plus riches. La promesse a été baptisée la « règle Buffett ». De son côté, l’autre candidat démocrate, Bernie Sanders, a proposé un taux progressif : plus on est riche, plus on paie. « Il y a vingt ans, personne ne dénonçait les inégalités aux Etats-Unis, constate Mike Lapham. Aujourd’hui s’il n’y a pas de consensus, au moins le sujet est sur la table. » « Depuis les années Reagan, les Américains voient le gouvernement comme un problème, juste bon à s’occuper de sécurité nationale, regrette Dal LaMagna. Or, c’est à lui de réduire les inégalités, et pour qu’il puisse faire le boulot, il faut le financer ! » Depuis la publication de la lettre, une dizaine de millionnaires ont spontanément rejoint le rang des volontaires.

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