Sous ses faux airs de série B, ce film de 1965 a inspiré de nombreux cinéastes, dont Ridley Scott pour « Alien ». Une épopée à redécouvrir en version restaurée dès le 6 juillet.
Découvrir La Planète des vampiresaujourd’hui, cinquante ans après son tournage, c’est se lancer dans une sorte d’aventure archéologique. A première vue, tout y semble daté : les décors, les costumes, le jeu des acteurs, les effets spéciaux… Pourtant, malgré cet ensemble ripoliné et exubérant d’esthétique sixties, difficile de ne pas être frappé par l’impression que ce film a façonné une partie de notre imaginaire commun, de notre envie de nous projeter dans des épopées intergalactiques.
On pouvait ignorer son existence, et ce d’autant plus facilement qu’il n’est jamais vraiment sorti en France, n’ayant fait l’objet que d’éditions vidéo ou DVD peu fameuses jusqu’à sa récente restauration. Impossible, en revanche, de ne pas connaître ceux qu’il a inspirés plus ou moins directement. Au premier chef, Ridley Scott avec sa saga Alien et sa préquelle, Prometheus. Plus généralement, des pans entiers de la science-fiction actuelle, quand un vaisseau débarque sur une planète pas toujours accueillante.
L’alliance d’Edgar Poe et de Youri Gagarine
C’est un euphémisme dans le cas de La Planète des vampires (Terrore nelle spazio, en version originale). Tourné par Mario Bava au milieu des années 1960, il est une adaptation de la nouvelle Una notte di 21 ore (« une nuit de 21 heures »), de Renato Pestriniero. Une équipe d’astronautes atterrit dans un monde désertique, envahi de fumées et de lumières rosées. A peine le vaisseau se pose-t-il que tous se mettent à se battre, mus par une force étrange. Une fois calmés, ils sortent explorer ce nouveau monde et découvrent un autre vaisseau échoué, peuplé de cadavres qui prennent vie et veulent les dévorer. Toute la réussite tient à cette capacité à mélanger des univers, à faire frissonner comme dans un film d’horreur tout en donnant à rêver de conquête spatiale. Bref, à réunir Edgar Poe et Youri Gagarine.
« La Planète des vampires » dans sa version de 1965
La Planète des vampires est le seul de la très dense filmographie de Mario Bava à s’inscrire ouvertement dans le registre de la science-fiction. Né en 1914 à San Remo, mort en 1980 à Rome, ce réalisateur aura été une sorte d’homme à tout faire du cinéma de son pays, tour à tour chef op’, décorateur, auteur, cocréateur d’un genre, le « giallo » (ou thriller à l’italienne), parrain de toute une mouvance dont Dario Argento sera un héros. Le parcours de Bava illustre une autre époque de l’industrie du cinéma, lorsque Hollywood allait à Rome tourner à moindre coût des séries B, voire Z. En Italie, le même Bava, as de la débrouille, savait inventer du cinéma à partir de budgets ridicules. Raoul Walsh, avec qui il travailla sur un tournage à Cinecittà, dit un jour à son propos : « Tant qu’il y aura des hommes comme lui, on n’aura jamais à craindre un déclin de la production cinématographique. »
Cette créativité, cet humour aussi, tout cela se ressent dans La Planète des vampires. Certains des décors ont été conçus par Carlo Rambaldi, futur créateur de la marionnette E.T. En 1971, Bava racontait dans une interview comment était née cette planète peuplée d’esprits, de lumières psychés et de collines abruptes : « Il y avait le plateau de tournage, tout vide et minable, car les sous manquaient. Et je devais représenter une planète. Qu’ai-je fait alors ? Sur le plateau voisin, il y avait deux gros rochers en plastique, vestiges d’un quelconque film mythologique. »
Les faux blocs de pierre ont donc quitté la Rome antique pour le futur galactique. La Planète des vampires se situe donc quelque part entre le péplum, l’horreur, la science-fiction, l’érotisme… Et c’est sans doute ce qui en fait un film culte, objet de l’admiration de cinéastes aussi divers que Tim Burton, Quentin Tarantino ou Nicolas Winding Refn.
Norma Bengell, aïeule du lieutenant Ripley
On peut s’amuser au jeu des différences entre ce film et ses successeurs : voir dans ces squelettes d’humanoïdes qui jonchent la Planète des vampires les ancêtres de ceux d’Alien, constater les similitudes entre l’éveil féministe de l’actrice Norma Bengell – comédienne majeure du « cinema novo » brésilien – et celui du lieutenant Ripley-Sigourney Weaver dans le film de Ridley Scott. Et il est naturel de rire des effets spéciaux balbutiants, des maquettes de vaisseaux en carton-pâte tremblantes qui tranchent avec l’orfèvrerie numérisée des space operas actuels comme, par exemple, Jupiter : le destin de l’Univers, de Lilly et Lana Wachowski. Même si rien ne dit que ces films qui nous semblent aujourd’hui visuellement parfaits ne nous apparaîtront pas un jour grotesques.
Si La Planète des vampires séduit aujourd’hui, c’est qu’il est en résonance avec la nostalgie sixties actuelle. Mais il plaît aussi par ce sens du style, sa façon d’habiller ses personnages de combinaisons de cuir noir gansé de jaune, au croisement entre l’uniforme SM et celui des motards. La scène dans laquelle un vampire sort du caveau où il a été enterré et que flotte dans les airs le sac plastique qui lui servait de linceul est un pur moment de cinéma.
En 1965, Bava dépoussière l’épouvante, le conte gothique, et l’envoie dans une autre galaxie. Et c’est dans ce cinéma réputé de seconde zone que sont nées les formes innovantes qui continuent de titiller les cinéastes d’aujourd’hui. Ce qui rend ce long travail d’exhumation et de restauration de films cachés d’autant plus salutaire.
« La Planète des vampires » dans sa version restaurée
La Planète des vampires, de Mario Bava, avec Barry Sullivan, Norma Bengell… 1 h 26. En salles le 6 juillet.
Par Clément Ghys