Rencontre avec Alé de Basseville, qui a vendu au « New York Post » d’anciens clichés nus de la femme du candidat républicain à la Maison Blanche.
On ne pouvait pas le rater, ce 2 août, pic du creux de l’été, à cette terrasse parisienne peuplée de touristes. Bague à chaque doigt, cuissardes en cuir et catogan délavé, le photographe qui venait peut-être de fairebasculer la campagne présidentielle américaine était attablé là, au cœur du 6e arrondissement de Paris. Exceptionnellement dépourvu de kilt (le mois d’août, sans doute), Jarl Alexandre Alé de Basseville (dit Alé de Basseville) venait d’atterrir d’Albanie, où il réalisait un shooting photo pour un magazine des Balkans. Et d’atterrir tout court : la veille et le jour précédent, la publication de ses photos avait provoqué un séisme politico-people international. Pendant quarante-huit heures, son téléphone n’a cessé de sonner. SMS, appels, e-mails disaient : « Bravo », « Merci », « Félicitations », « Formidable »…
Les photos de Melania Trump nue, publiées deux jours d’affilée dans le New York Post, c’est lui. Les sous-titres ironiquement ravageurs jouaient leur rôle de cerise sur le gâteau : « Donald Trump pense qu’elle fera une très bonne première dame : voilà des raisons de le croire » ; ou encore : « Une potentielle future première dame comme vous ne l’avez jamais vue. »
Passés entre les filets du « vetting »
« Ça fait un an que l’idée de les publier tournait dans les magazines », confie-t-il. Mais en juillet, le New York Post a emporté la mise. Alé de Basseville jure qu’il n’a pas été payé plus que le minimum syndical, mais pour un « coup » pareil, difficile de croire que le quotidien américain friand de scoops n’a pas fait monter les enchères… Quelques jours plus tôt, le Français Jean-Yves Le Fur, à la tête du magazine Lui, s’était d’ailleurs vu refuser les photos : sa proposition financière n’était pas assez alléchante. « Ça m’a intéressé de les publier dans le New York Post, explique Alé de Basseville, parce qu’ils ont un lectorat très populaire qui ne peut pas connaître mon travail artistique. Surtout, ils sont très conservateurs, j’adorais l’idée », ajoute-t-il en souriant.
Le 15 avril, en effet, le journal officialisait son soutien à Donald Trump. Trois mois
et demi plus tard, il ressort ces clichés plus que suggestifs apparemment passés entre les mailles des filets du vetting, cet examen minutieux réalisé par les équipes des candidats pour nettoyer tout ce qui est susceptible de perturber ou d’entacher la campagne de leur poulain.
Les clichés datent de 1995. A l’époque, Alé de Basseville a 25 ans, Melania aussi. Après avoir fait ses premières armes très jeune dans la peinture, ce Français grandi en Suisse s’est lancé, contre l’avis de sa famille, dans la photo. Il conçoit des séries remarquées pour le magazinePhoto, côtoie le monde de la mode et propose à Marc Dolisi (alors rédacteur en chef de l’édition française de Max) de faire revenir le roman-photo dans ses pages. Les clichés de Melania Trump sont issus d’une de ces séries, publiée dans Max en 1996. A l’époque, il shoote au Pentax 6X7 : de l’argentique, pas de Photoshop et des coûts élevés (film, développement).
La jeune femme qui enlace Melania Trump s’appelle Emma Eriksson. Elle est très connue. « Comme les mannequins Amber Valletta, Kate Moss, Inés Rivero », précise-t-il. Il en sait quelque chose, il a été marié à cette dernière, l’un des tops starisés des années 1990. A contrario, « Melania était une inconnue, on l’a choisie sur un échantillon de cent femmes. Elle allait bien avec Emma, ça faisait un choc culturel entre la Suédoise et la fille de l’Est ».
Pour cette séance de plus de six heures, il soutient que l’actuelle épouse de Trump n’a pas été payée. Quant au caractère lesbien de la photo, « l’idée vient entièrement de moi », précise Alé de Basseville. « Dans ma vie, j’ai eu beaucoup d’expériences avec deux filles, n’hésite-t-il pas à raconter. Et je recrée souvent ma vie personnelle dans mes photos. »
Original passé par la case prison
Le jour de la séance, il faisait – 10 degrés sur le toit de l’immeuble situé derrière Union Square, à New York. Vingt et un ans plus tard, il se souvient de la docilité des deux poseuses, de la maquilleuse qui passait sans cesse pour faire une retouche au pinceau sur les corps nus et de cette photo non publiée où Melania est fouettée par Emma. Toutes deux vêtues en John Galliano et Alexander McQueen.
Vingt et un ans plus tard, il n’est pas surpris non plus que la jeune femme se retrouve dans les magazines par d’autres biais que sa carrière. « Ce n’est pas étonnant. Toutes ces filles venaient de l’Est. Quels choix ont-elles à part se marier avec un type vieux et riche ? », ose cet aristo rebelle qui se dit membre fervent du mouvement punk.
La réaction de Trump évoquant une manipulation de Rupert Murdoch l’a fait sourire : « Je n’en sais rien. Mais là-bas, tous les coups sont permis », constate celui qui a été « résident mais pas citoyen américain » pendant près de quinze ans.
A 46 ans, cet original, passé par la case prison en 2007 pour trafic de drogue et blanchiment d’argent, s’amuse aujourd’hui à « tacler tout le monde ». Retiré de la photo de mode, revenu en France, il se dit aujourd’hui très mal à l’aise avec le fait que les femmes soient utilisées « comme des trophées ». Une déclaration qui ne manque pas d’ironie dans la bouche de celui qui vient d’offrir un scandale de plus au palmarès de Donald Trump.
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