Afin d’apporter des informations vérifiées aux migrants, le présentateur de la télévision publique grecque ERT anime chaque jour trois JT en arabe.
En quelques minutes, la fumée embrume le champ de poussière. Les centaines de silhouettes courent dans tous les sens. Derrière les barbelés, les sentinelles en noir s’agitent. Les gaz lacrymogènes frappent indistinctement hommes, femmes, enfants. Le 10 avril, Idomeni, à la frontière gréco-macédonienne, où se dresse un camp de réfugiés de 10 000 personnes, s’est embrasé. Les policiers macédoniens ont repoussé les migrants voulant forcer le passage fermé depuis deux mois. Faisant, selon Médecins sans frontières, 260 blessés.
Ce jour-là, s’ils étaient si nombreux à espérer une brèche, c’est à cause de LA rumeur. La frontière gréco-macédonienne « devait rouvrir ». Tous espéraient partir du camp insalubre.
La colère a succédé à la désillusion. « Cette rumeur dangereuse revient souvent, déplore le journaliste gréco-libanais Walid Elias, basé à Athènes. C’est avant tout pour lutter contre ça que nous avons créé ces programmes. »
Depuis le 22 mars, ce présentateur de la radio-télévision publique grecque ERT (Ellinikí Radiofonía Tileórasi), anime chaque jour trois JT en arabe. « La frontière est fermée », martèle-t-il à chacune de ses interventions consacrées aux migrants coincés en Grèce. Ces 54 000 déracinés d’Irak, d’Afghanistan, de Syrie rêvent d’Europe de l’Ouest, mais attendent dans des camps précaires ou des hôtels glauques du pays. Ne parlant pas le grec, mal l’anglais, ils s’informent généralement par bouche-à-oreille ou sur les réseaux sociaux, pour ceux qui ont les moyens d’acheter des cartes de téléphone locales avec accès Internet.
Glanant des données parfois floues ou invérifiables. Un manque d’information auquel pallient les JT en arabe, que les migrants peuvent ensuite retrouver sous la forme de podcast, grâce à leur mobile, en suivant le hashtag #Ert4refugees sur Twitter et Facebook. Des rediffusions également disponibles sur le site Ert4refugees, en grec uniquement, mis en place afin d’informer plus spécifiquement les habitants sur les façons d’apporter de l’aide aux réfugiés.
Livrer des « infos pratiques » aux migrants
L’ambition des journaux en arabe est de livrer des « infos pratiques » aux migrants, insiste le présentateur, qui adopte une ligne éditoriale différente des journaux nationaux. « Je ne parle pas de la situation économique du pays, cela ne les intéresse pas ! » Il choisit d’évoquer la météo, « comme le niveau des vents, pour ceux qui seraient tentés de traverser l’Egée de la Turquie ». D’expliquer les procédures pour faire une demande d’asile, « où est-ce qu’ils doivent se rendre, quels numéros Skype contacter pour les services d’immigration ». De détailler la situation dans les camps officiels, « les conditions de vie ne sont pas bonnes, mais meilleures que dans les camps improvisés ».
Pour Petros Demetropoulos, responsable de l’agence de presse ANA-MPA (Athens News Agency-Macedonian Press Agency), informer c’est aussi donner une existence à ces exilés. Comme l’ERT, l’agence a lancé mi-mars une page d’actualités en arabe sur son site. « Les réfugiés ne sont pas des marchandises, mais des gens avec une histoire. Il faut les aider à s’intégrer, à comprendre où ils sont », explique ce Grec. S’adresser à ces exclus était pour lui devenu un « devoir professionnel ».
Alors que près d’un million de personnes ont transité par le pays, que la crise migratoire a tragiquement pris le dessus sur la crise économique. « Tous ces migrants vont rester bloqués ici peut-être des mois, voire des années. Il faut être là pour le leur expliquer », justifie Petros Demetropoulos. Le reporter n’oubliera jamais les images des femmes en pleurs, de bébés aux yeux arrondis de frayeur, progressant dans une eau boueuse.
« Mi-mars, plus de 1 500 migrants ont tenté de passer la rivière entre la Grèce et la Macédoine », soupire l’homme. Trois Afghans sont décédés. Pour prévenir ce genre d’incident « indigne », « il faut mettre les réfugiés en garde contre les trafics, estime-t-il. Nous aimerions faire du contenu en farsi, pour les Afghans, mais nous n’en avons pas les moyens. »
Ces nouvelles ont encore du mal à percer chez les migrants. Il n’y a pas de télévisions et les connexions Wi-Fi mises en place dans les camps ne sont pas toujours efficaces, parfois saturées. « Avec une entreprise de télécommunications, nous y distribuerons bientôt des cartes Sim, afin qu’ils aient un accès à Internet et puissent consulter le site », annonce Petros Demetropoulos. ANA envisage aussi de lancer un compte Twitter en langue arabe. « La fréquentation des podcasts du site ERT progresse, se réjouit de son côté Walid Elias. Des Syriens, comme des Grecs, nous remercient. »
Le premier ministre Alexis Tsipras a également félicité sur Twitter les initiatives internes des deux médias publics. Mais elles ne sont pas du goût de tous, en témoignent des réactions radicales sur la page Facebook de l’ERT. « Ici, on parle grec, pas arabe », « Y a-t-il des JT grecs en Arabie saoudite ? Non, alors pourquoi fait-on des infos en arabe en Grèce ? », « Qui paie ce JT ? », cite Walid Elias.
Le 23 mars, une image de leur journal a été détournée et relayée. On pouvait y voir une présentatrice voilée. Le journaliste nuance : « Il y a des extrémistes, mais la majorité des habitants comprend l’odyssée de ces gens. Car une partie des Grecs sont eux-mêmes des descendants de réfugiés, venus de l’Anatolie. »