Depuis 1999, Ou Zihang est engagé dans une série intitulée « Faire des pompes ». Dans le plus simple appareil, il effectue cet exercice dans des lieux symboliques. En janvier, il a réalisé cette performance artistique devant les locaux de « Charlie Hebdo » et face au Bataclan.
Il observe, attend. Un livreur décharge son camion. Des habitants promènent leur chien, des admirateurs de Charlie déposent des fleurs… Puis, hors de tout regard, il se déshabille et… commence à faire des pompes. Ce 20 janvier, le froid était pourtant perçant à Paris. Mais il n’a pas empêché l’artiste chinois Ou Zhihang de se livrer à cette performance, tout près des anciens locaux du journal satirique, rue Nicolas-Appert, à Paris. Comme un hommage aux onze personnes abattues par les frères Kouachi un an auparavant.
Ancien présentateur de télévision, Ou Zhihang est célèbre en Chine pour les autoportraits qu’il réalise de lui, nu, en train de faire des pompes, devant des lieux emblématiques ou associés à un scandale. Une façon de se recueillir mais aussi de demander que la vérité
soit faite.
Débutée en 1999, cette série, intitulée « Faire des pompes », n’a été connue du grand public qu’en 2007. A la veille des JO de Pékin, l’artiste participe à une exposition collective, présentant notamment des œuvres d’Ai Weiwei, qui déclenche une polémique nationale. Dès lors, « Faire des pompes » devient, sur les réseaux sociaux chinois, le symbole de la recherche de la vérité. Quand un scandale explose, les internautes pressent même Ou Zhihang de se rendre sur les lieux.
Ses œuvres sont régulièrement exposées dans de grandes galeries, comme celles de l’Espace 798 à Pékin. Cette série lui vaut pourtant de nombreux heurts avec les autorités chinoises. Ainsi, le 17 octobre dernier, la venue d’Ou Zhihang à Bijie, une municipalité reculée du Guizhou, province pauvre du sud-ouest du pays, a fortement déplu aux autorités. Réalisant sa performance pour dénoncer plusieurs scandales, notamment liés à des suicides d’enfants délaissés par leurs parents travailleurs migrants, Ou a dû supprimer ses photos sous les yeux des cadres locaux puis a été interrogé par la police pendant deux heures avant de se faire éjecter de la province.
Plus de 700 performances
Ou Zhihang n’est pourtant pas une tête brûlée. Il refuse par exemple de s’attaquer aux lieux les plus sensibles : « La place Tiananmen aurait certainement mérité que j’y réalise ma performance, admet-il. Mais le faire signifierait l’enterrement immédiat de mon projet. »
Il se contente d’être réactif. Ainsi s’est-il livré à ses célèbres pompes à Tianjin, en août dernier, sept jours après l’explosion meurtrière d’un entrepôt chimique à l’origine du décès de 173 personnes, selon les chiffres officiels. A peine deux semaines après sa visite, malgré les risques sanitaires, les lieux furent recouverts de pelouse. Sur Weibo (le Twitter chinois), l’artiste diffuse sa photo et lance : « Il ne faut pas dissimuler la vérité, sous prétexte d’améliorer la vie locale. »
La performance artistique d’Ou Zhihang devant le Bataclan
Ou Zhihang est lui-même surpris de la longévité de son projet en Chine où la censure se fait de plus en plus pesante. Il comptabilise près de 700 performances à ce jour. La dernière en date est celle qu’il a réalisée juste après son hommage aux victimes de Charlie Hebdo, lorsqu’il s’est rendu au Bataclan. « Normalement, il aurait dû y avoir des policiers, des vigiles, des caméras devant un lieu si sensible. D’autant plus, dans un pays en état d’urgence, remarque-t-il. Finalement, il n’y a eu ni contrôle ni contrainte. Cela m’a laissé perplexe. » Pas exactement ce à quoi il est habitué en Chine.
Par Zhulin Zhang