Un entrepreneur ultrareligieux a construit une réplique de la mythique embarcation, en vue de « diffuser le message chrétien ».

L’été promet d’être biblique dans le Kentucky. Non pas que les abords champêtres de la petite ville de Williamstown aient des allures de mont Ararat. Mais c’est là qu’un entrepreneur très chrétien a choisi de poser une réplique « grandeur nature » de l’arche de Noé, dont l’ouverture au public était prévue le 7 juillet. L’œuvre est colossale : longue comme un terrain de foot et demi, haute de sept étages, elle s’appuie sur une charpente de bois qui serait la plus grande jamais construite aux Etats-Unis.

Les Amish, réputés pour leur savoir-faire en menuiserie et ébénisterie, ont prêté main-forte aux ambitions de Ken Ham, le promoteur de ce projet 100 % créationniste. Il fallait bien cela pour reconstituer le refuge qui, selon la Bible, sauva la Création du déluge et le monde des péchés. Loin des centaines d’espèces qu’y entassèrent Noé et sa famille, seules trente d’entre elles ont finalement trouvé leur place dans l’arche de M. Ham. Mais au-delà des classiques ours, girafes et moutons, le public pourra admirer un couple de… Tyrannosaurus Rex. Ce qui mérite une explication.

La Bible vue comme un livre d’histoire

Pour M. Ham, comme pour nombre de croyants les plus orthodoxes, la Bible est un livre d’Histoire, avec un grand « h » et sans « s » : Dieu créa le monde en six jours il y a six mille ans ; depuis, hommes et animaux n’ont connu que de très légères évolutions. Rien d’incongru donc à ce que les dinosaures aient côtoyé le sauveur de l’espèce humaine. Et qu’un arche-musée en atteste.

« Ici, ce ne sera pas le monde de Disney, où les gens viennent pour s’amuser. Le but est religieux. »

Ken Ham, promoteur du projet

Car, pour M. Ham, l’intention est claire : « Ici, ce ne sera pas le monde de Disney ou d’Universal, où les gens viennent pour s’amuser. Le but est religieux », a-t-il récemment détaillé dans le New York Times. Comme au Musée de la Création, qu’il a fondé il y a neuf ans à quelques dizaines de kilomètres de l’arche, ou dans le matériel pédagogique dont il inonde des centaines d’églises sous le label explicite « Réponses dans la Genèse », il s’agit ici de diffuser le « message chrétien ».

Ou en tout cas, un certain message chrétien. Car, si 42 % des Américains croient toujours que Dieu a créé les humains dans leur forme actuelle, selon un sondage Gallup de 2014, tous ne sont pas pour autant convaincus que cette œuvre a pris six jours, et une bonne partie accepte la théorie de l’évolution. Ken Ham et ses soutiens appartiennent à un groupe de croyants particulièrement réfractaires à cette idée. Affolés par la « sécularisation » et les innombrables « péchés » de la société actuelle, ils dénoncent sans relâche l’avortement, le mariage gay et l’athéisme.

Une reproduction de dinosaure à l’intérieur de la réplique de l’arche de Noé du parc à thème « Ark Encounter », à Williamstown le 5 juillet 2016.

Avantages fiscaux et subventions

A l’embauche, les salariés de l’arche ont dû signer une « déclaration de foi », qui revenait à exclure les homosexuels. Malgré une plainte de l’Etat du Kentucky, qui, au vu de ces exigences, rechignait à accorder des avantages fiscaux à ce projet religieux non exempt de visées commerciales, la ­justice a donné raison au patron précautionneux et les subventions ont été confirmées par le tribunal. Elles ont contribué au budget de 102 millions de dollars nécessaire à l’entreprise.

Des scientifiques, des associations athées et des chrétiens moins rigoristes mettent en garde contre les dommages que pourrait causer sur l’éducation de jeunes cerveaux une sortie dominicale à l’arche. Surtout si, comme l’espère M. Ham, elle est couplée avec une visite au Musée de la Création, qui a déjà vu passé plus de 2 millions de visiteurs. Et si les enfants viennent d’Etats tels que le Texas, le Missouri ou l’Alabama, où les programmes scolaires ont toute ­latitude pour une « analyse critique » de la théorie de l’évolution.

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