La multiplication des étals illégaux exaspère les commerçants qui accusent la maire, proche de Podemos, d’avoir laissé la situation dégénérer.
Tous les jours, près de 800 vendeurs à la sauvette s’installent promenade Joan de Borbó, face au port de plaisance de Barcelone. Contrefaçons de sac à main, de polo ou de lunettes de soleil, bijoux fantaisie, cadeaux souvenirs exposés sur des draps à même le sol… Le week-end, ceux qu’on appelle en Espagne les manteros (« drapiers »), en référence aux tissus qu’ils étendent au sol pour exposer leur marchandise, frôlent le millier. Provoquant l’exaspération des commerçants qui tiennent Ada Colau, la maire de la ville, pour responsable de la situation.
Mercredi 29 juin, la Commission des victimes de la vente à la sauvette, qui regroupe une centaine d’organisations, a même signé un manifeste critiquant la « passivité de la mairie »et « l’angélisme » de l’édile de Barcelone. « Les vendeurs à la sauvette ont privatisé l’espace public sur un kilomètre. Nous ne pouvons presque plus passer, ni aller à vélo ni promener nos chiens. Et cette concurrence déloyale affecte le commerce », estime María José Lopez Samper, présidente de l’Association de voisinage de la Barceloneta et membre de la commission.
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La nouvelle équipe municipale, qui gouverne Barcelone depuis mai 2015, était pourtant pleine de bonnes intentions lorsqu’elle a mis le sujet sur la table l’été dernier. Ex-militante du droit au logement, Ada Colau, entourée d’autres représentants des luttes sociales, avait l’idée d’aborder la question autrement. Elue au sein de la plateforme citoyenne Barcelone en commun, alliée au parti de la gauche anti-austérité Podemos, elle voulait tenir compte de la « vulnérabilité » de ces personnes, majoritairement par des Africains en situation irrégulière. Elle était aussi convaincue que la pression policière, manifestement incapable de résoudre le problème, n’était pas la solution : « C’était devenu le jeu du chat et de la souris », résume-t-on à la mairie.
La police locale a donc été invitée à modérer ses interventions, à se limiter à empêcher l’installation des manteros au petit matin, mais à ne pas tenter de les déloger en pleine journée, afin d’éviter les risques d’affrontement. Par ailleurs, elle a décidé de mener en parallèle une politique de réinsertion. Onze manteros ont été formés pour devenir pêcheurs l’an dernier, et quarante nouveaux plans de « reconversion » ont été lancés la semaine dernière. Plutôt que pénaliser uniquement les vendeurs, Ada Colau a également décidé d’augmenter la pression sur les acheteurs de contrefaçon, en imposant 235 amendes l’an dernier, pouvant aller jusqu’à 500 euros, grâce à une directive municipale déjà existante.
Un « ghetto » en pleine ville
Un an plus tard, cependant, l’expérience est loin d’avoir porté ses fruits. Au contraire. L’irritation des comités de voisinage du quartier de la Barceloneta, des associations de commerçants et des syndicats de policiers a atteint son paroxysme. « La mairie n’aborde pas correctement le problème de fond de l’occupation de la voie publique, et du non-respect des lois, juge Valentín Anadón, porte-parole de la Fepol (Fédération des professionnels de la sécurité publique), un syndicat policier. Elle a favorisé la création d’un ghetto, en confinant les vendeurs dans un espace de permissivité. »
Le malaise a encore grandi le mois dernier après l’agression d’un policier municipal par un mantero qui lui a asséné un violent coup sur la tête avec une branche d’arbre. Tout en condamnant l’agression, le groupe municipal Barcelone en commun a critiqué la décision du juge de placer le suspect en prison préventive. Et l’appel téléphonique du conseiller municipal Jaume Asens à l’avocate de la police locale, pour savoir si elle avait sollicité une peine de prison et pour quelles raisons, a été perçu comme une tentative de pression.
Les commerçants ont en outre mal vécu la création, en octobre dernier, du Syndicat populaire de vendeurs ambulants de Barcelone. Celui-ci a réclamé à la mairie un emplacement où vendre leurs marchandises (que ses membres disent acheter légalement dans des entrepôts), moyennant le paiement d’une « taxe raisonnable ». Demande restée vaine pour l’instant. Mais les manteros poursuivent leur objectif de « construire un corps politique capable de reprendre les requêtes et les nécessités du collectif face à la persécution, la discrimination et le racisme ». La tension autour des manteros n’est pas près de retomber à Barcelone.